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COLONISATION  : Pacifier et administrer
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COLONISATION  : Pacifier et administrer

Deux notions importantes de la colonisation...

De manière générale, les termes de conquête et de colonisation induisent un rapport de force et donc un déséquilibre des forces au profit des puissants qui s’emparent et soumettent des territoires pour les dominer. A l’origine de tout projet de colonisation il y a tangible la notion de soumission. Soumission du plus faible. Il ne faut pourtant pas analyser les situations coloniales seulement par le prisme du recours à la force qui ne fait qu’ouvrir le moment colonial. Le fait colonial devait s’inscrire ensuite dans la durée avec la pacification qui comme le terme l’indique doit remettre en place la paix, qui se trouve au cœur de la problématique coloniale et permet ensuite l’administration de ces territoires colonisés.

I) PACIFIER

Définition de Pacification

Pacification vient du mot latin « pacificationem », de pacificare, qui veut dire pacifier.

Attesté en français depuis le XVIe siècle, on parle alors d’« Édits de pacification ». Plusieurs édits des rois furent promulgués dans le but d'apaiser les troubles de religion, le mot pacification va prendre tout son sens à la fin du XIXe siècle en devenant une doctrine militaire préparant le terrain à l’administration d’un pays conquis. 

C’est donc un mot ambigu qui couvre deux réalités opposées : d’un côté la pacification est une action de rétablissement de l’ordre, dans un autre sens elle renvoie à l’idée d’apaisement, de réconciliation…

Il devient aussi, pour la France, le terme donné par la propagande militaire pour quadriller administrativement l’espace algérien, séduire la population autochtone surtout dans les coins reculés (en la soignant et l’éduquant) et la couper des « rebelles ».

 

Pourquoi Pacifier ?

Dans toute forme de colonisation, les sources de tension et de conflits sont multiples (refus de soumission, soulèvements contre les autorités coloniales etc.). La pacification devient alors un instrument primordial pour réduire ces oppositions.

Instrument d’une stratégie impériale, la pacification permet de renforcer la domination des pouvoirs coloniaux, en brisant toute forme de résistances qui entraveraient le contrôle du territoire, et ouvre la voie de la possibilité de mise en valeur des ressources naturelles, ou de l’exploitation de ces ressources selon les pays car il va s’agir pour les occupants de rentabiliser au plus vite les investissements consentis pour cette nouvelle mise en valeur. Le but étant de poser après la conquête des territoires des bases stables pour s’y maintenir et faire prospérer durablement la colonie.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle et début du XXe siècle, de multiples opérations de pacification rythment la vie des colonies et de leurs métropoles : Bugeaud en Algérie, Galliéni à Madagascar, le retour à l’ordre suite à la révolte des Cipayes en Inde, la pacification du Maroc de 1903 à 1934.

 

Méthodes de pacification : l’exemple français de Galliéni et Lyautey

Tout au long des XIXe et XXe siècles va se développer une littérature sur les méthodes de pacification.

 

La Méthode pacification par Galliéni

"La méthode Galliéni qui sera d’ailleurs reprise par d’autres généraux notamment Théophile Pennequin en Indochine, consiste essentiellement dans l’utilisation civile de l’armée. « Le rôle du soldat ne doit pas se borner à l’action militaire… il lui appartient de commencer l’organisation et la mise en valeur des territoires que sa bravoure a donnés à la France. »

L’armée déblaie le terrain des obstacles accumulés par les hommes ou la nature, fait des routes, dessèche les marais, et opère à la fois le dressage des hommes et le défrichement du sol. Les officiers et les hommes sont encouragés dans cette œuvre d’abnégation par le sentiment de son utilité même : ils ont conscience d’être des agents de progrès. Dans l’action militaire elle-même, le système des « colonnes » qui ne sont le plus souvent que des « coups de sondes dans le vide », et qui signalent leur passage par des rigueurs et des dévastations inutiles, fait place à l’occupation effective du terrain conquis grâce à un système de postes, commandés par des officiers subalternes, et surveillant les œuvres de la colonisation dans les limites d’un secteur.

L’organisation des territoires, cercles et secteurs, c’est à elle qu’est due la rapide pacification de Madagascar. C’est elle aussi qui rend relativement facile l’œuvre si nécessaire de la pénétration, qui consiste à jalonner de postes les lignes de communication naturelles (fleuves) et à occuper les centres d’influence."

(Citation d’un article d’époque : Zimmermann Maurice. Les méthodes de colonisation du général Galliéni à Madagascar. In: Annales de Géographie, t. 8, n°40,1899. pp. 380-381)

 

Le Général Gallieni, grande figure de la France coloniale, est un officier non-conformiste. Il invente la « tactique de la tâche d’huile », laquelle consiste à soumettre, sécuriser et séduire les populations « indigènes». La confiance ainsi acquise a vocation à s’étendre, de proche en proche, pour installer un ordre colonial pacifié. Au seul rapport de force, il convient de substituer un ordre juste, respectueux des populations, de leurs coutumes et de leurs chefs traditionnels.

Un autre général, qui a été l’adjoint de Galliéni et pour lequel il vouait une très grande admiration, va développer à partir de celle-ci sa vision.

La Méthode Lyautey

Lyautey va retenir et appliquer la tactique de l’occupation progressive, qui alterne opérations militaires et entente avec les tribus. Pour lui la conquête du Maroc, dont il devient l’ardent défenseur à Paris, doit s’opérer grâce à ses forces centrifuges, les tribus « siba », sans tenir compte du pouvoir central - Makhzen - jugé sans importance. Pour lui la conquête du Maroc, qui doit être l’aboutissement de la conquête, doit se faire de même par la patience et l’organisation.

Ainsi, pour les deux hommes, il ne s’agit plus seulement de conquérir des territoires par la force des armes, mais aussi d’œuvrer pour la « pénétration économique », de créer des hôpitaux, des écoles, suivant en cela la perception paternaliste d’une « population d’enfants » face à laquelle il faut éviter de recourir à la « force majeure ».

Lyautey note ainsi à propos de la lutte contre les « pirates » en Indochine : 

« lorsqu’il s’agit de mettre en culture une partie d’un territoire envahi par les herbes sauvages, il ne suffit pas d’arracher celles-ci sous peine de recommencer le lendemain[...] De même de la terre livrée à la piraterie ; l’occupation armée [...] y passe le soc ;l’établissement d’une ceinture militaire l’enclot et l’isole ; enfin la reconstitution de la population […] l’installation des marchés et des cultures [...] y sèment le bon grain et rendent la région conquise réfractaire au pirate.... »

La pacification coloniale, tout comme la « politique indigène » qu’elle préfigure, relève ainsi de ce que Michel Foucault (Collège de France années 1970) a appelé la « gouvernementalité », la forme bien spécifique de pouvoir qui prend pour cible la « population ». Ce nouvel intérêt militaire pour la « population indigène », ses caractéristiques, sa structure d’organisation, ses croyances, et la manière de composer avec celles-ci.

Pour Galliéni c’est très clair :

 « Toute agglomération d’individus, race, peuple, tribu ou famille représente une somme d’intérêts communs ou opposés. S’il y a des moeurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut savoir démêler et utiliser à notre profit, en les opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les secondes. »

Pourtant l’approche de Lyautey au Maroc, faisant le pari de la pacification par l’économie et postulant un intérêt commun qui transcenderait les clivages politiques entre colons et « Indigènes », va se heurter à l’hostilité de nombre d’acteurs locaux. Les termes de l’alternative étant présentés comme la « pacification » ou la « force majeure », c’est finalement par le second terme, la conquête militaire et les razzias, que le Maroc est colonisé. 

 

Le cas britannique

Dans le cas du Royaume-Uni, on voit une évolution similaire dans le Raj britannique. En effet, à la suite de la mutinerie des soldats indiens en 1857 et le massacre de masse qui suivra, l’administration impériale décide d’intensifier la politique de cooptation de l’aristocratie locale.

L’approche coloniale recours encore globalement à la contrainte mais au fur et à mesure que la common law (la loi commune) est étendue à l’Empire britannique au début du XXe siècle, la notion de « police impériale » pour désigner ce qui est désormais considéré comme des opérations de sécurité intérieure ne pouvant se soustraire à la loi.

L’objectif n’est plus seulement d’assujettir, mais aussi de « maintenir l’ordre » impérial, le constat des risques inhérents au recours à la force « inappropriée » s’impose. Il est de même progressivement admis qu’une « police impériale » efficace suppose d’apporter des avantages et des rétributions. Comme dans le cas français, on considère les « Indigènes » comme des « enfants indisciplinés » devant être éduqués par un double système de punitions et de récompenses.

 

II) ADMINISTRER

Au cœur d’un système complexe

L’Administration est au cœur de la « pacification coloniale », elle doit donner les moyens de maintenir l’ordre rétabli. Mais en colonies elle ne revêt pas les mêmes caractéristiques qu’une administration dans une démocratie libérale, sans oublier qu’elle dépend toujours en dernier ressort de la capitale de la métropole. 

Et si l’on parle de manière commode « d’Empires », il est frappant de noter un manque complet d’homogénéité ; les différentes colonies constituant ces Empires sont en effet disparates quant à leur fonctionnement qui dépend pour beaucoup des hommes qui les administrent. 

Il en est de même pour les statuts juridiques selon que les territoires sont des Dominions, des colonies au sens strict du terme, des protectorats etc.), des territoires qui dépendent rarement comme le montre l’exemple anglais du même ministère. L’Empire britannique relève ainsi de 5 ministères : Le Colonial office, le Dominion office, l’India office, le Burma Office ou encore le Foreign office.

L’Empire Français dépend de 3 ministères : le ministère de l’Intérieur (qui gère l’Algérie constituées de département français), les ministères des Affaires étrangères (Maroc, Tunisie, Syrie, Liban qui sont des protectorats ou mandats) et celui des Colonies pour le reste, ministère créée en 1894 pour soulager le ministère de la Marine.

Les autres empires coloniaux du Monde (Portugal, Belgique ou Pays-Bas) sont gérés car moins étendus par 1 seul ministère, celui des Colonies.

 

Pratiques pour imposer le principe d’autorité

Dans la pratique de la IIIe République, en France, l’ensemble des domaines coloniaux relève du domaine de la loi votée par le Parlement. Les décisions de ce dernier (sauf pour l’Algérie) sont alors adaptées puisque qu’elles ne peuvent s’appliquer de plein droit qu’en vertu des arrêtés pris par le gouverneur qui est l’agent local de l’exécutif.

Le système anglais marche différemment puisqu’il privilégie les législatures locales. Ce n’est donc qu’en théorie que le Parlement de Londres tient le rôle de Parlement impérial. Par conséquent les colonies sont livrées aux instances gouvernementales sur place, aux hommes de terrain qui auront toujours le dernier mot. Cela s’explique en grande partie par la lenteur des moyens de communications, leurs prises d’initiatives étaient nécessaires.

Sur place, les ministres sont donc représentés par de hauts fonctionnaires : vice-roi pour l’Inde (1858) et l’Ethiopie (1936), gouverneur le plus souvent notamment pour les colonies Françaises, pour les protectorats (Maroc et Tunisie) on parle plutôt de « résident » On parle parfois de « Haut-commissaire » pour marquer le peu de sujétion comme dans les Dominions.

Ces hauts fonctionnaires sont là pour régner l’ordre, sont responsables de la police et des forces armées. Ils exercent de même une surveillance sur la vie religieuse. Ces fonctions incombèrent aussi bien à des civils qu’à des militaires.

 

Administrer selon Galliéni et Lyautey

Galliéni défend l’idée d’avoir une administration propre dans chacune des colonies. Et qui dit administration dit budget particulier donc le recours nécessaire à un impôt personnel qui a la « vertu », outre de fournir les subsides nécessaires, d’assujettir un peu plus les indigènes. Pour Galliéni, cela constitue « l’affirmation du droit de conquête ».

Pour Lyautey l’administration doit résider dans un commandement unique (à la fois politique et militaire) seule garantie du succès de la colonisation. Et pour lui ce commandement unique ne peut être remis qu’entre les mains d’un officier… qui peut ensuite déléguer des responsabilités aux élites locales. Soucieux des indigènes et des classes dirigeantes, seuls remparts de la colonisation, il mettra tout en œuvre pour préserver les coutumes, usages et pratiques traditionnelles. Il préconise de même l’amélioration des conditions de vie des indigènes pour consolider la domination française.

 

Conclusion

En conclusion on peut dire que ce terme de « pacification » relève de la propagande pour mieux faire oublier les horreurs inhérentes à la conquête et de ce fait la rendre plus acceptable aux yeux de l’opinion publique. Les vertus de la pacification se révéleront illusoires. Pour les populations indigènes, les bienfaits sont très différents selon les colonies et très maigres par rapport à ce qu’ils étaient en mesure d’attendre. En ce sens le rôle donné de « devoir de civilisation » n’a pas vraiment été respecté. L’administration complexe de ces immenses territoires ne pouvaient en rien arranger les choses.

Emmanuelle Papot-Chanteranne (Mars 2020) - Responsable du CRD de la FMGACMT, Chargée d'enseignements à l'ICP 

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