Ce site utilise javascript pour fonctionner. Pour une expérience optimale, merci de bien vouloir l'activer.

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies ou autres traceurs pour réaliser des statistiques de visites. En savoir plus

Sections Administratives Spécialisées
AA

Sections Administratives Spécialisées

Au contact des populations du bled algérien, les Sections Administratives Spécialisées (S.A.S) par Roger Benmebarek, préfet honoraire

Les fondements.

Créées en 1955, les Sections administratives spécialisées, SAS dans le langage courant, furent l’ultime avatar de l’administration territoriale de l’Algérie hors des centres gérés selon la loi municipale de 1886. Elles assuraient la relève des communes mixtes, services civils qui avaient succédé entre 1870 et 1880, aux Bureaux arabes d’essence militaire. Jusqu’en 1962, conjointement aux unités opérationnelles, les SAS occupèrent sur le terrain, une place majeure dans l’action de pacification.

Le constat d’une sous-administration évidente du bled algérien et la volonté de faire obstacle à l’emprise du F.L.N, ont incité le gouverneur général, Jacques Soustelle, à promouvoir les S.A.S comme outil de reconquête des populations indigènes.1 Si la lettre du gouverneur, datée du 4 septembre 1955, au général commandant la Xe région militaire peut être considérée comme l’acte de naissance des SAS, de fait, leur création s’étalera sur plusieurs années pour en faire ce premier échelon à mission multiple, placé au contact direct des populations. 2

Pour en cerner l’inspiration, l’organisation et le rôle, force est de se reporter à la période précédant 1955, et de constater que comme l’administrateur de commune mixte, pendant plus de soixante quinze ans avant les SAS, c’est moins le principe d’organisation que la personnalité du chef de poste, qui exprime le mieux le sens et la valeur de l’institution.

La commune mixte avait constitué l’administration civile la plus adaptée aux besoins d’accompagnement de la population indigène vers la modernité. Respectant les usages des groupes ethniques si divers en Algérie, parlant leur langue, connaisseur respectueux de l’âme musulmane, l’administrateur de commune mixte, assisté de caïds dans les douars, avait pour mission de pénétrer la société musulmane. Agent d’autorité placé à la tête d’un territoire parfois aussi étendu qu’un petit département de la métropole, il était la voix de la France dans les zones les plus reculées.

Après la Seconde guerre mondiale, cette mission qui s’exerçait auparavant avec succès, se dégrada du fait d’une politique du personnel inconséquente de la part de l‘autorité supérieure, laissant se réduire le nombre des administrateurs-adjoints dans chaque commune mixte. Le nombre des adjoints passa ainsi de quatre ou trois, à un seul, alors que la population à administrer augmentait constamment. Des tâches de bureau décuplées détournèrent les administrateurs de l’indispensable visite des douars - tournées à cheval devenues parcours motorisés dépendant de la route - tandis que dès avant le Statut de 1947, 3 on annonçait la suppression des communes mixtes et leur transformation en communes de type classique. Hâter la disparition des communes mixtes devint le cheval de bataille des partis politiques, même en métropole, et particulièrement celui des mouvements nationalistes. Ces derniers, à juste raison, voyaient dans la commune mixte, un obstacle à leur tactique d’endoctrinement et de prise en main des populations rurales. Parallèlement, il est vrai que le rôle des caïds, agents essentiels de proximité, s’était dénaturé et affaibli, et boucs émissaires, on les accusait de vénalité. Il y eut pourtant de brillants et courageux caïds.4

Pour les 78 communes mixtes formant les 5/6e de la superficie du territoire, l’effectif des administrateurs des Services civils de l’Algérie, nouvelle appellation de 1942, de 277 en 1926, n’était plus que de 260 en 1936, pour remonter à 301 en 1945, mais retomber à 280 en 1954, alors que la population musulmane rurale en progression rapide, augmentait de 44% (4,5 millions en 1926, 5 millions en 1936, 7.2 millions en 1954). Ces chiffres illustrent la sous-administration criante du bled algérien en 1955.

Sans véritablement innover, la création des SAS suivit l’habitude depuis la conquête qui alternait l’administration du territoire entre civils et militaires, effet d’une concurrence corporatiste plus que fondamentale, mais persistante. Cependant, administrateurs et officiers portaient tous deux, un uniforme et un képi, ce qui était la marque du chef. Et cet uniforme en même temps qu’il appelait le respect, honorait les populations visitées. La décision de recourir à des officiers calquait l’expérience marocaine qu’avait connue le général Georges Parlange, figure de légende des Affaires indigènes du Maroc, rappelé au service et chargé d’expérimenter dans les Aures-Nementchas, une amorce des SAS donnant lieu à la création du Service des Affaires algériennes. D’anciens officiers des Affaires indigènes marocaines constituèrent les premiers cadres. Si l’esprit de Lyautey ne fut pas absent, c’est entre l’administration directe des communes mixtes et le principe de gestion indirecte des Contrôles civils du Maroc, qu’on imagina l’action du Chef de SAS : ni administration directe, ni véritable contrôle de tutelle, qui revenait au Sous-préfet seul, mais comme conseil des maires, c’est une mission d’impulsion et de coordination qui est attendue de lui.

En 1955, les 280 administrateurs et leurs  caïds furent remplacés par 600 chefs de SAS et leur personnel. Les SAS s’implantèrent au coeur du pays, dans les douars et non au siège des anciennes communes mixtes, lesquelles abritèrent désormais les Sous-préfets de 76 nouveaux arrondissements, tandis que le nombre des préfectures était porté de 3 à 13. Le quadrillage administratif de l’Algérie était resserré afin de pallier la sous-administration.

Le rôle des SAS.

Selon la lettre du 4 septembre 1955, il s’agissait d’utiliser « un certain nombre d’officiers pour aider dans leur tâche de pacification, les autorités civiles et administratives responsables du maintien de l’ordre ». La tâche de ces officiers devait comporter, « de façon générale la recherche du renseignement, spécialement par le contact avec la population française musulmane, de façon particulière, la reprise en main des anciens combattants et anciens militaires français-musulmans. Dans l’accomplissement de leur mission, ces mêmes officiers resteraient dans la dépendance hiérarchique de leur commandant de secteur. Il appartiendrait à ce dernier de recevoir des autorités administratives ou politiques les instructions et les demandes nécessaires et, le cas échéant, de suggérer à ces dernières les mesures qui peuvent paraître utiles à la réalisation de la pacification. »

Contact, renseignement, pacification et dépendance hiérarchique militaire soumise toutefois aux instructions de l’autorité civile, la tâche est vaste, mais ne tranche pas entre civils et militaires. L’ambigüité prolongeait l’hésitation des pouvoirs entre le glaive et le rameau d’olivier. Elle donna lieu parfois, à une rivalité latente entre officiers et fonctionnaires civils,5 qui au gré des crises politiques de la guerre d’Algérie, se prolongeait au niveau des généraux et préfets. Mais de fait, sur le terrain, ce fut bien la personnalité de chaque officier qui prévalut sur les questions de principe et fit de chaque SAS un modèle spécifique à l’image et à la mesure de son chef.

Organisation et missions.

Le commandement de la S.A.S. était confié à un capitaine ou à un lieutenant, assisté la plupart du temps, d’un sous-officier et de personnel civil (secrétaire, comptable, radio, assistante médico-sociale, chauffeur, interprète) et d’un élément de protection, le maghzen, avec une trentaine de  moghazni.

De nombreux sous-lieutenants du contingent renforceront le dispositif : ils seront adjoints du chef de S.A.S. parfois chefs de S.A.S. d’emblée. Pour beaucoup, ce fut une mission qu’ils accomplirent avec enthousiasme. Doté d’une jeep, d’une ou plusieurs camionnettes, parfois de chevaux, le chef de S.A.S. était en mesure d’effectuer des tournées au plus profond du bled.

Les S.A.S. représentaient l’autorité civile auprès des communes, érigées en nombre croissant. Elles eurent à conduire à partir de 1958, le programme dit des 1000 villages (logements, routes, écoles, dispensaires, adduction d'eau,…) dont le Plan de Constantine prévoyait le financement tandis que des crédits intérimaires permirent des actions immédiates. Elles eurent ainsi en charge, pour une ou plusieurs communes :
- La sécurité, avec l'aide des unités opérationnelles du secteur.
- Le recensement et l’état civil, la participation à la réforme communale de 1956, ouvrant le champ à la pratique de la démocratie, l’organisation des élections.
- Les chantiers : routes, marchés, hydraulique et autres actions d’intérêt local.
- La scolarisation avec la réouverture ou la construction d'écoles.
- La santé, en particulier l'Assistance médicale gratuite (AMG ) : l'action propre de la S.A.S. fut épaulée par des médecins et des infirmiers militaires assurant consultations et soins, et par les équipes de la Croix Rouge et les EMSI (Equipes médico-sociales itinérantes ) dont on soulignait le rôle courageux et efficace auprès des femmes du bled. On comprit au plus haut sommet de l’Etat, l’importance de la promotion de ces dernières et en 1959, un secrétariat d’état auprès du Premier ministre chargé des affaires sociales musulmanes fut confié à Nafissa Sid Cara 6
- Des ateliers-ouvroirs pour femmes, auxquels participaient des civiles européennes, furent développés sur tout le territoire par le Mouvement de Solidarité Féminine Algérie-Sahara à l’initiative de Suzanne Massu7 et de Nafissa Sid Cara.
- L'aide à la jeunesse, grâce à des équipes de moniteurs de la Jeunesse Algérienne ormés à Issoire et à Nantes, sous la direction du général Pierre Dunoyer de Segonzac.8

Les résultats de la politique des SAS.

Les SAS ont développé des résultats significatifs,9 car les populations du bled algérien ne pouvaient qu’apprécier leur action sociale, économique et médicale et le dévouement des jeunes officiers. Ceux-ci, souvent gradés issus du contingent, venus de métropole, appelés ou rappelés, sans connaissance particulière de l’Algérie, étaient passionnés par ce métier nouveau pour eux, convaincus d’être dans la bonne voie pour gagner le coeur des populations ballotées entre la France et le maquis grandissant. En 1962, beaucoup quitteront la terre algérienne le coeur déchiré, laissant des populations avec lesquelles ils avaient établi des liens de forte amitié.

Il est intéressant de noter que le FLN y vit à juste titre un grand danger pour son développement dans la masse rurale, si l’on en croit une étude consacrée aux SAS par la Wilaya d’Oran, le 10 mars 1958.10 Sans impact sur la grande masse, parce qu’en tirage limité et trop intellectuelle, mais étonnamment bien documentée et précise sur les moyens et méthodes des SAS, cette étude fut diffusée à l’intention des cadres de la rébellion. Elle considérait comme « dangereuses au regard de notre peuple, l’assistance médicale gratuite et l’action médicosociale, car elles disposent d’un personnel qualifié de médecins auxiliaires et surtout d’assistantes sociales ». Dans le même sens, elle dénonçait « les moniteurs de jeunesse musulmane. Eux-mêmes musulmans formés en France et rattachés à des corps d’armée stationnés dans la région d’implantation de la SAS » et « les équipes de jeunes filles musulmanes ou ASSRA dont le rôle est médical et surtout social, permettant une facile infiltration au sein de la famille algérienne.»

Les SAS, outils de proximité reconnus et craints par l’adversaire, ont eu des résultats efficaces, mais venus trop tard.
« Il est certain, tout d’abord » écrira Jacques Frémeaux11 en 2002, « que les SAS ont représenté un des plus importants défis posés au FLN, dans la mesure où elles pratiquaient un type d’action qui, à l’inverse des opérations purement militaire, toujours éprouvantes pour les civils, ne nourrit pas l’engrenage de la violence, mais risque au contraire d’attirer vers la cause française une partie des populations ». J. Frémeaux soulignera que c’est largement à l’action des SAS, et à l’ambiance créée autour d’elles, qu’il faut attribuer des bilans comme celui que put publier Le Monde en 1959 : 800 écoles ouvertes depuis 1956, et près de 70 000 enfants scolarisés ; plus d’un million de consultations et de soins rendus par 675 médecins, assistés d’autant d’auxiliaires médicales.

On peut alors se demander avec le même auteur « si, étant donné les progrès du FLN dans les villes, la consolidation de ses positions internationales, la lassitude de l’opinion publique française, les oppositions virulentes à la guerre, le contrôle des campagnes aurait été suffisant pour assurer une solution souhaitée par la majorité des officiers des SAS, et, avec elles, par la plus grande partie des cadres de l’armée ».

Entre 1956 et le début de 1962, les SAS eurent 752 morts, dont 70 officiers, 33 sous officiers, 42 attachés et 607  moghazni.

Roger Benmebarek (Mars 2012)

1 Lettre du Gouverneur Général de l’Algérie, 4 septembre 1955 et Directives pour l’emploi des officiers des Affaires Algériennes, Cabinet militaire, 4 octobre 1955. SHD 1H1206/SAS.

2 Délégation Générale du Gouvernement en Algérie. Circulaire d’application du décret n°59-019 du 2 septembre 1959 relatif aux fonctions des Chefs de SAS en matière civile. Signée Paul Delouvrier. SHD 1H1204/4

3 Article 53 de la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie.

4 L’administration des communes mixtes était en permanence la cible favorite de la presse communiste (Liberté et Alger Républicain, du PCA et nationaliste, Le Courrier Algérien de l’UDMA).

5 Note 22 août 1956 du colonel, chef du Service des Affaires algériennes, gestionnaire des personnels SAS

6 Nafissa Sid Cara (1906-2002) devint en 1959, secrétaire d'État « chargée des questions sociales en Algérie et de l'évolution du statut personnel de droit musulman » dans le gouvernement Michel Debré et le resta malgré plusieurs remaniements successifs jusqu'en 1962.

7 Avec Suzanne Massu (1907-1977), « Rochambelle (ambulancière)» de la France Libre (2e DB), épouse du général Jacques Massu (1908-2002), de la 10e Division Parachutiste, devenu commandant du Corps d'armée d'Alger, les épouses des chefs militaires de tous grades et des fonctionnaires préfectoraux d’Algérie se sont toutes impliquées dans cette mission.

8 Le général Pierre Dunoyer de Segonzac (1906-1968) officier de cavalerie blindée, héroïque combattant en 1940, créa l’École de cadres d’Uriage qui forma de jeunes responsables destinés à l’élite de la nation, avant de les entraîner dans la Résistance. Pendant la guerre d’Algérie, il donna une remarquable impulsion au Service de Formation de la Jeunesse Algérienne.

9 Plusieurs monographies des SAS détenues par le Service Historique de la Défense à Vincennes, permettent une connaissance approfondie des SAS. SHD 1H1223/ D1 à D3 et1H1225.

10 Les SAS, leur politique, leur rôle et leurs méthodes, Commandement général de la wilaya d’Oran (5) Service de renseignement et de liaison, 1958. 24 pages. SHD 1H1206/01

Restez informés !

Recevez nos dernières nouvelles directement dans votre boîte mail.

Restons connectés !

Ce site a été réalisé avec le soutien du Ministère des Armées

Ce site a été réalisé avec le soutien du Ministère des Armées