Mme Colette Ducos Ader, présidente du GRFDA
Le témoignage de la présidente du GRFDA qui se bat pour la recherche de vérité quant au sort des disparus civils en Algérie. Ce témoignage a été livré le 4 décembre lors de la « Rencontre autour du guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie ». Une journée organisée en visioconférences par les Archives Nationales.
Après l’énumération des différentes catégories des malheureuses victimes de disparition de la guerre d’Algérie il reste à évoquer le sort des civils enlevés et portés disparus, qui, du 1er novembre 1954 à la fin de 1962, ont été enlevés par le F.L.N dans le cadre de sa politique d’exactions.
MON TEMOIGNAGE
Les enlevés portés disparus de la guerre d’Algérie pour une grande majorité n’étaient pas des combattants mais des civils français de souche européenne, nés dans un pays qu’ils estimaient être le leur puisque c’était la France.
Leur sort fut longtemps négligé par les pouvoirs publics. Le rappeler, l’écrire, le dire, c’est pour moi répondre à un Devoir de Mémoire
Mes parents étaient agriculteurs dans la plaine de la Mitidja, où je suis née et où j’ai épousée en 1959, Georges Santerre également agriculteur, pour qui l’arabe était sa seconde langue naturelle. Le père de mes 2 enfants, alors âgés de 1 et 2ans, a été « enlevé » le 14 juin 1962, puis porté « disparu ».
Le matin du 14 juin Georges s’était rendu à la plantation de tabac, en compagnie d’un ouvrier, il n’en revint jamais.
Pour protéger mes enfants de cette situation de guerre civile et d’enlèvements régnant dans toute l’Algérie, j’avais quitté la Mitidja le 31 mai 1962 pour l’Aveyron où résidait la famille de mon mari.
Malgré cette nouvelle écrasante j’ai trouvé la force de réagir et j’ai pris la décision de rechercher les vraies raisons de cet enlèvement et de la mort de Georges Santerre
Dès l’été 1962, commencèrent mes recherches et mes démarches : préfecture de l’Aveyron, rendez-vous et courriers aux ministères concernés, aux deux Croix rouge française et internationale, dépôt de plainte pour enlèvement et séquestration auprès de la gendarmerie : accueil réservé, compassion absente, en été 1962 les rapatriés sont suspects plus que victimes Je classais les informations obtenues, je faisais des listes de disparus. J’ai pu ainsi me rapprocher d’associations qui regroupaient les familles de disparus pour mettre en commun nos recherches, nos difficultés, voire nos espoirs.
Face à la situation chaotique en Algérie ma famille restée sur place promit de fortes récompenses pour tous témoignages concernant Georges et pour mes trois cousins enlevés les 23 mai et 23 juin. – Sans aucun résultat.
Les premières réponses à mes multiples démarches me parvinrent en 1963 : Document N°1 lettre du CICR
Le secrétaire d’État aux Affaires Algériennes M.de Broglie, se disait tenu au silence, mentionnait la mission d’enquête de la Croix Rouge internationale effectuée du 8 mars au 12 novembre 1963 et qui, sans autre explication, notait des présomptions de décès – contradiction avec les écrits du CICR.
Un rapport fut établi par cet organisme international et remis à la France qui le tint secret jusqu’en 2003. Il fut alors communiqué au général FAIVRE sur décision du premier ministre Jean Pierre RAFFARIN.
Ce document contenait une information alarmante : l’impossibilité pour les enquêteurs de se rendre dans les 20 camps d’internement où on supposait que des civils étaient maintenus.
C’est dans ce contexte que le Secrétaire d’État aux Affaires Algériennes s’employa à me faire perdre l’espoir d’un possible retour de mon mari, mais sans me donner aucune preuve de sa mort, ni aucune information fiable, me permettant de faire le deuil du père de mes enfants. Cette attitude me fut particulièrement cruelle. De folles rumeurs de survie se répandirent. Elles avaient pu se propager en raison du silence des autorités, indifférentes, voire hostiles aux demandes d’information de l’ensemble des familles de disparus.
Cette situation particulière m’incita à réagir et je décidais de faire connaître ce drame que nous vivions en parler s’imposa à moi tel un devoir de mémoire
LES ALEAS ET LES DIFFICULTES
La réalité même des enlèvements était mise en doute par l’administration
On évoqua pour les militaires une désertion, pour les jeunes hommes civils l’abandon de famille et le désir de changer de vie, pour les femmes la légèreté de leurs mœurs…
Le terme même de disparu n’était pas compris
Pour les uns, un disparu est un mort, pour les autres, quelqu’un qui s’est volontairement évanoui dans la nature. Il a donc fallu convaincre que nos disparus étaient des « enlevés portés disparus. »
La situation était très préoccupante pour nos familles. Le décès n’était que présumé, les jugements déclaratifs de décès remis aux familles étaient contestables et, après les enlèvements, elles ne bénéficiaient d’aucun soutien psychologique. Nous étions seuls face à l’adversité, et sans le secours moral et financier de nos familles, la situation de nos enfants aurait été dramatique.
Des escrocs firent croire à la survie dans des camps : il fallait avoir la force de résister à ces informations extrêmement déstabilisantes.
Le gouvernement français, niant le chaos régnant dans le nouvel état indépendant Document N°2 lettres de M. Jeanneney de septembre et novembre 1962 et soucieux de favoriser à tout prix l’harmonie des rapports avec le pouvoir algérien, estima le dossier des enlevés portés disparus très encombrant. Malgré la reconnaissance par M. de Broglie en 1963 à l’Assemblée Nationale de l’existence de 3018 disparus, le gouvernement occulta ce dossier embarrassant et resta sourd à nos démarches jusqu’en 2002.
Devant l’impéritie des gouvernements successifs, nous avons mis en place un groupe de travail (GRFDA) composé de Monseigneur BOZ† et d’historiens comme le Général Faivre† et Jean Monneret, et de familles concernées, destiné à obliger l’État à prendre en compte ce problème douloureux.
LES AVANCEES
En 2003 commencèrent les travaux de M. Dieffenbacher (bilan des politiques publiques en faveur des rapatriés et des mesures nouvelles à promouvoir) nous lui avons remis un dossier qui comprenait :
cf. Document N° 2 bis lettre de juillet 2003
* L’historique du dossier des enlevés portés disparus, en particulier les débats parlementaires de 1963, 1964, 1965, 1970,
* Les démarches d’une famille depuis 1962 et les réponses officielles reçues jusqu’en 2002- mes démarches ; courrier et demande d’audience au président de la république, aux ministres des affaires étrangères : réponses souvent copiées collés
* « Le mur du silence », quelques preuves seront apportées par les procès-verbaux de gendarmerie, le rapport de l’ambassade Britannique à Alger, du Consul de Blida etc. (des corps d’enlevés étaient déplacés à l’arrivée du consul de Blida et il ne trouvait que des emplacements vides).
* Les écrits du comité international de la Croix Rouge, Le rapport établi par le CICR publié plus tôt, aurait permis aux familles d’avoir une autre attitude et d’être peut-être plus sereines. (Cette non communication démontrait bien la chape de plomb qui pesait sur ce dossier).
* L’ouverture des archives par dérogation à l’article 7 de la loi du 3 janvier 1979.
* Évocation des préjudices subis par les orphelins mineurs.
Ce parlementaire reconnu la complexité du dossier.
cf. Document N°3 lettre du 30 novembre 2006 de M. DIEFFENBACHER
Parallèlement le GRFDA créé en février 2003 fut très présent dans l’élaboration des listes de disparus (travail reconnu par Mme LISKENNE).
Cf.Gazette des archives n° 239, année 2015, page 23, document N° 4
Demanda instamment qu’un chercheur soit désigné pour revoir les différents travaux et élaborer enfin un document qui reflète au plus près la réalité.
Depuis la fin de la guerre d’Algérie des chiffres fantaisistes parce que démesurés concernant les civils portés disparus ont été donnés.
Il fallait l’aide de l’administration. Ce fut le travail de la commission disparus au sein de la Mission Interministérielle aux Rapatriés pilotée par M. JORDI – qui vient de vous donner les précisions sur ce délicat dossier.
A notre demande d’une traduction mémorielle des termes de l’article 1 de la loi du 25 février 2005, qui reconnait les souffrances des familles de disparus il a été répondu officiellement par l’affichage de la liste des disparus établie par la commission MIR sur le Mémorial du quai Branly au cours de la cérémonie du 28 février 2012 présidée par le Ministre des Anciens Combattants M. LAFFINEUR.
LES ATTENTES
Conformément à la convention internationale de 2006 sur les disparitions forcées, signée notamment par la France et l’Algérie, le GRFDA ne cesse de réclamer pour les familles le droit de savoir ce qu’il est advenu des 1700 victimes qui figurent sur la liste officielle des disparus. La triste comptabilité des personnes en cause étant maintenant pratiquement terminée, il faut connaître le sort qui a été le leur, les conditions de leur détention, les circonstances de leur assassinat et les lieux où reposent leurs dépouilles.
Le GRFDA demande depuis de nombreuses années que soit créée, une structure, type Comité des sages. Elle serait composée de personnalité qualifiées, médecins spécialistes des traumatismes de guerre, psychologues, représentants de l’administration, qui pourraient aider les familles dans leurs ultimes démarches et compte tenu de ce qui a été dit ce matin, par les archivistes. Leur difficulté à communiquer et à répondre aux demandes des familles en serait facilitée.
Cette structure serait tout à fait adaptée aux circonstances
Le temps s’écoule mais la douleur est toujours aussi vive et nous avons besoin de savoir comment se sont passées les dernières heures de vie de nos disparus
Les conditions de leur détention, les circonstances de leur assassinat et les lieux où reposent leurs dépouilles : tombe isolée ? Fosse commune ? Charnier ? Des travaux d’historiens sur ce sujet ont permis de commencer à dresser des listes de ces funestes lieux.
Pour moi le chagrin même ravivé ne sera pas pire que ce silence et les sables mouvants de l’oubli. Cette occultation offensante et ravageuse doit cesser.
Pour terminer, je citerai la dernière phrase du livre émouvant d’Andrée MONTERO épouse et sœur de disparu.
Cf. Le cri retenu document N°5: « depuis des années déjà, septembre a enfoui cet espoir fou sous ses tapis de feuilles mortes, mais au plus dur de l’hiver, quand le vent hurle et gémit à mes fenêtres…. Souvent je crois entendre un appel ».
Paris le 4 décembre 2020
Madame Ducos Ader, présidente du GRFDA
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