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L’Armée et l’Islam – Enjeux et débats en France du XIXème au XXIème siècle
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L’Armée et l’Islam – Enjeux et débats en France du XIXème au XXIème siècle

Sous la direction de Julie D’Andurain, Jérôme Bocquet et Jacques Frémeaux Cerf Patrimoine , 2024, 262 pages.

Il s’agit des actes du colloque qui s’est tenu les 15 et 16 juin à l’Académie des Sciences d’Outremer sous la direction de Julie d’Andurain, Jérôme Bocquet, Xavier Boniface, Olivier Dard et Jacques Frémeaux.

La relation entre l’Armée et l’Islam est souvent sujet de débat, voire de polémique. C’est ainsi qu’en 1999, des rumeurs ont évoqué une mutinerie sur le porte-avions Foch en mer Adriatique, selon lesquelles des jeunes musulmans se seraient opposés au bombardement du Kosovo en raison de leur religion, rumeur officiellement démentie. Mais cette possibilité est désormais prise ne compte par l’institution militaire. Cet ouvrage collectif a pour objet d’analyser les enjeux et de clarifier les débats sur ce sujet.

Jacques Frémeaux évoque l’héritage des Bureaux arabes, institution créée dès 1833 en Algérie qui connut son plus grand développement entre 1840 et 1870. Elle fut ensuite à la source d’une pratique administrative diverses en AFN sous des dominations diverses jusqu’aux indépendances : Services de Renseignements, Affaires Indigènes, Sections Administratives Spécialisées... Elles avaient pour missions d’être au contact de la population indigène, de servir d’interprète, d’être au service de la population… Car très vite, est apparue aux responsables français toute l’importance fondamentale de la religion musulmane pour comprendre les mentalités des populations et des soldats qu’elles fournissaient. Il fallait ne pas apparaitre comme un adversaire de l’Islam et rechercher l’appui des notabilités coraniques, ce qui nécessitait une réelle connaissance de cette religion et des dialectes locaux. Que reste-t ’il de cette longue histoire dont la décolonisation nous a séparés ? Car si les chefs de l’Armée d’Afrique ont su encadrer la combativité des soldats musulmans contre les Ottomans ou d’autres musulmans, les responsables militaires de nos jours ne doivent pas ignorer cette histoire.

Julie d’Andurain évoque le péril vert, cette fièvre obsidionale qui apparait au début du XXème siècle. Il s’agit du moment où l’Islam est ressenti comme un péril par les Français. Certes la états-majors militaires s’interrogent dès la première guerre mondiale sur le danger islamique, mais il faut savoir que la force de l’Islam et de son organisation à des fins politique sont identifiées dès la fin du siècle précédent. C’est la panislamisme qui ne suscite alors aucune angoisse particulière. L’inflexion se situe en 1906 dans le monde colonial français et chez les Anglo-Saxons. C’est le péril vert qui est dénoncé. On retrouve cela dans des monographie ou dans la presse, généralement sous la plume d’officiers français, et est repris dans les milieux coloniaux britanniques.

Le panislamisme est un concept politico-religieux qui vise à rétablir le califat. Il a ouvert la voie au « réveil de l’islam (nahda) ». Et à cette époque, rares sont les Occidentaux capables de comprendre la signification de ce mouvement. En Algérie, à cette époque, l’islam n’est pas considéré comme un problème majeur. « On surveille les Confréries sans les punir ». En 1870, avec l’avènement de la IIIème République, la question musulmane n’intéresse que peu de monde. Mais bientôt, les militaires français se souviennent de la révolte de Mokrani faite au nom de la guerre sainte avec la suppression des Bureaux arabes qui en fut un des facteurs. C’est alors la rencontre par les militaires français de l’islâm au Niger associées à des analyses britanniques qui évoquent le Djihad et le panislamisme, à l’occasion de l’assassinat d’un consul britannique à Damas en 1874, qui renvoie vers ce mouvement. C’est alors une profusion de publications sur le sujet. L’auteure évoque de nombreux auteurs, tous passés par l’armée qui travaillent sur le sujet. Citons quelques noms : Louis Rinn, Alfred Le Chatelier, Galliéni, Duveyrier… Les critique à l’égard de l’Islam ne plaisent pas à tout le monde. La Revue de l’Islam créée en 1895 atteste bientôt du dynamisme panislamique qui met en évidence la volonté du monde arabo-musulman d’organiser un Congrès islamique en 1896. En 1906, une série de projets liés à l’Islam apparaissent avec la création d’un service des « affaires musulmanes et des informations islamiques » à Paris et Dakar. Le péril panislamique se répand dans la presse coloniale. Pour les Anglais , c’est la « pan-islamic agitation ». le péril qui devient un élément de la politique internationale, alors qu’il ne repose alors que sur un nombre réduit d’individus et va s‘estomper assez rapidement.

Michel Renard aborde la question des principales normes de la religion musulmane et de ses applications dans le cadre des armées françaises, avec beaucoup de précisions durant la Grande Guerre. Les sépultures, les rites alimentaires, le ramadan, les édifices religieux sont évoqués. La Grande Guerre constitue le premier moment de reconnaissance que la France a apporté au monde musulman.

Pascal Le Pautrenat s’est intéressé à la Commission Interministérielle des Affaires Musulmanes (1911-1937). Cette commission a été créée pour permettre une approche objective de tous les sujets inhérents au monde musulman dès lors que la France était confrontée dans ses colonies à ce monde qu’elle voulait mieux connaitre afin d’entreprendre une politique d’association et de collaboration. Elle coordonnait l’action des diverses administrations, centralisait les renseignements concernant l’Islam, établissait un contact permanent avec les différentes communautés de cette confession. Elle fut présidée par Jean Gout, ministre plénipotentiaire. Elle a donné des avis sur bien points. On retient ceux sur l’acceptation des musulmans à accepter la citoyenneté française, la codification du droit coranique, la réorganisation communale, la conscription et l’engagement dans les armées…

Pour Pierre Vermeren au 19ème siècle, la France ne connait pas l’Islam. Mais deux idées dominent : libérer les autochtones du joug ottoman et être libéral en matière religieuse pour s’attirer leur bonne grâce. Une erreur est commise en Algérie avec l’appropriation des terres du sultan et des habbous : cette mesure sape les ressources de l’islam et le condamne à l’effondrement. Elle est regardée comme un sacrilège et annule le bénéfice de la tolérance. Les responsables français imprégnés d’un orientalisme moyen-oriental sont parfois séduits par une vision idéalisée de l’Islam : les savants musulmans, la grammaire arabe, la Charia , l’idéal de culture savante. Mais ce n’est pas l’Islam que les officiers des bureaux arabes rencontrent. C’est un Islam de terrain, en arabe dialectal ou en berbère, où les coutumes tribales sont intégrées à un corpus qui se veut musulman autour des Confréries. Celles-ci, organisées autour du maraboutisme et du soufisme, sont aux premiers temps de la colonisation l’ennemi principale de la France qui s’est heurtée au djihad avec notamment Abdelkader (1835-1647), Haddad (1871-1872) et Bou Amama (1881-1903). Ces confréries vont être assimilées faussement par le capitaine Neveu aux ordres religieux chrétiens, leurs zaouias à des monastères et les khouans à des moines-soldats. Mais au 20ème siècle, elles sont devenues dans l’entre-deux guerres des partenaires loyaux envers l’autorité coloniale et vis-à-vis de la France. L’apparition du salafisme diffusé par les oulémas change la donne avec la création de l’Union des Oulémas musulmans d’Algérie qui prônent le retour aux sources de l’islam, en d’autres termes de promouvoir la fidélité aux salafs, premiers compagnons du prophète. Pour cela il faut pratiquer la langue du Coran et appliquer les enseignements du prophète, donc de refuser les traditions, rejeter les marabouts et les saints. Les oulémas sont ceux qui interprètent les paroles du prophète. L’armée française, l’administration n’ont pas perçu le danger salafiste qui éclate à Sétif le 8 mai 1945. (p133)

Ce jour est la moment où un changement des conditions de l’indépendantisme apparait. Il ne s’agit plus d’une révolte tribale ou maraboutique, mais d’une phase révolutionnaire nouvelle qui implique le PPA et ses militants dans un millénarisme islamique porté par les Oulémas dont l’implantation dans l’Est algérien est particulièrement dense... L’administration et les partis politiques sont très loin d’identifier la menace. La SFIO et le PCF incriminent le fascisme et les héritiers du nazisme en Algérie, et l’armée pointe du doigt le communisme. Quant aux Affaires Indigènes, pour elles, dans le bled, rien n’a changé et elles ne sont pas interpellées par l’inquiétude des marabouts et de notables musulmans qui voient monter l’influence des oulémas. Elles considèrent toujours les Confréries comme la principale force politico-religieuse en mesure de mobiliser les foules musulmanes. Et pendant la guerre d’Algérie, les Oulémas vont s’impliquer et rejoindre en 1956 le FLN où ils vont faire de l’entrisme dans toutes les instances ( willaya, CNRA, CCE…). C’est ainsi qu’ils vont inciter à l’élimination physique des représentants de l’islam des confréries, considérées comme « l’islam des Français ».

Clara Gayte présente Pierre Rondot a été un important collaborateur du CHEAM (Centre des Hautes Etudes d’Administration Musulmane) créé en 1936 sous la direction de Robert Montagne jusqu’en 1954 année où Rondot lui succède. Le CHEAM est à la fois un service de renseignements, d’informations sur les populations musulmanes particulièrement au Maghreb, de ressources et de formation pour les cadres coloniaux français, militaires compris. Le Centre devient un atout dans la politique de défense de la France. Il fait partie de l’ensemble des moyens destinés à assurer le maintien de l’identité française qui doit permettre au pays de donner une image qui doit reposer sur une réelle connaissance des pays colonisés et d’une compréhension concrète des peuples qui les habitent.

Christian Lochon rappelle que le CHEAM, rattaché à la Fédération nationale des Sciences politiques, a produit de 1936 à 2000 une masse de documentation en tous genres et s’est occupé de la formation en culture musulmane des fonctionnaires français détachés dans l’Administration du Levant et d’Afrique du Nord. Ses auditeurs préparaient le brevet des Hautes Etudes d’administration musulmane dans le cadre de l’Université de Paris. Le centre s’est ouvert à partir de 1967 à des auditeurs venant du privé (avocats, homme d’affaires, industriels, homme politiques, femmes au foyer, membres des clergés…)

Jérôme Bocquet note que, depuis la fin de la guerre d’Algérie, l’invisibilité de l’islam en France renvoie à l’effacement des pratiques religieuses dans les forces armées. En apparence, les armées sont le creuset d’une laïcité apaisée. Par-delà une diplomatie musulmane, la France a voulu que l’islam militaire reste au centre des préoccupations de l’Armée., de la hiérarchie religieuse ou des officiers qui se disent chrétiens. Mais reste la difficulté de penser une identité musulmane au sein des corps de troupes. On peut décrypter les modalités dont l’armée française s’accommode de l’islam grâce aux témoignages d’aumôniers militaires et de militaires catholiques et musulmans qui ont servi au seins de la FINUL au Liban et en Afghanistan. On constate qu’être légionnaire et musulman à la Légion étrangère est difficile, amenant les musulmans à évoquer un djihad républicain qui s’oppose à l’autre djihad illégal et illégitime.

Jonathan Hassine expose l’exemple de l’armée libanaise où la coexistence entre les différentes composantes religieuses est remplie de faux-semblants.

Elyamine Settoul montre que dans les armées la gestion de l’Islam colonial a oscillé entre discrimination et recherche de cohésion. La hantise existait dans l’inconscient collectif de voir des groupes de musulmans se mutiner comme cela est arrivé le 26 juin 1941 à Maison Carrée au sein du Régiment de Marche du Levant. Concrètement, la discrimination à l’égard des militaires musulmans s’est traduite de différentes manières : soldes inférieures, retard dans l’avancement en grade, promotion hiérarchique restreinte, le grade de capitaine étant le grade le plus élevé qu’ils pouvaient atteindre… Et plus récemment, limitation de la conscription : 2% des effectifs en 1990.

 Les auteurs constatent que Les Armées françaises, soucieuses de cohésion ont, dans les années 2000, normalisé la gestion du culte musulman. Chaque soldat est respecté dans ses croyances tant qu’il n’obstrue pas la poursuite des missions de l’institution.

Face à l’islamisme radical, les armées ont su gérer les cas de radicalisation et à l’opposé ont constaté une forte droitisation ces recrues ces dernières années et concerne les rangs inférieurs et commence à toucher les sous-officiers, voire les officiers.

Ce sont treize contributions de qualité qui se sont penchées sur un sujet qui est présent dans l’actualité. Elles méritent toutes d’être connues.    

Il est revenu à Dominique Avon de tier les conclusions de ce colloque. Un fait mérite c’être cité : à Lyon en 2021, un imam algérien de passage dans la ville refusa une invitation à participer aux cérémonies du 11 novembre. Ce refus fut motivé par sa désapprobation de voir ses coreligionnaires participer à cette cérémonie, alors que pour lui, ils avaient été contraints de combattre pour la France. Cela permet de rappeler que les musulmans sont présents dans les unités françaises depuis plus de 2 siècles. Aujourd’hui, ils représentent près de 15% des effectifs.

Roger Vétillard (novembre 2024)

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