SECOND EMPIRE : Des Bureaux Arabes au Royaume arabe, le projet de Napoléon III pour l’Algérie
Dans l’histoire de l’Algérie française, la période du second Empire occupe une place à part. Longtemps occultée par les manuels scolaires français, totalement ignorée des Algériens d’aujourd’hui, ces dix-huit années du règne de Napoléon III représentent pourtant une parenthèse dans la colonisation de l’Algérie. Une parenthèse dont l’évocation au sein de ce colloque se justifie, l’élément militaire ayant été l’une des assises du régime impérial et le projet de Napoléon III pour l’Algérie ayant reposé sur l’Armée d’Afrique.
Je vous propose donc de revenir d’abord sur l’histoire des Bureaux Arabes, créés dès les premières années d’occupation de l’Algérie, d’examiner ensuite quelle était la situation de l’Algérie dans la décennie 1850, jusqu’à ce que l’empereur des Français s’empare du sujet algérien pour concevoir un Royaume arabe, dont l’échec historique ne doit pas empêcher d’en souligner la singularité ni la dimension visionnaire.
Au commencement : les Bureaux arabes
La décision française de demeurer en Algérie après le débarquement réussi de 1830 impliquait de disposer d’intermédiaires pour entrer en contact avec les populations indigènes, dont la langue et la religion étaient étrangères à celle du corps expéditionnaire, et pour contribuer au service de renseignement. On s’adresse d’abord aux Juifs, aux Maures présents dans les villes, aux interprètes de hasard, mais la fiabilité de ces auxiliaires laisse à désirer… En 1833 dans la province d’Alger, le capitaine de Lamoricière ouvre une cellule chargée de centraliser les affaires indigènes, de rassembler les documents, de traduire la correspondance et de transmettre les décisions du commandement. Dès l’année suivante, le bureau arabe est supprimé au profit du rétablissement de la charge d’« agha des Arabes ». En 1837, une « direction des Arabes » est créée, l’état-major général reprenant momentanément ses attributions deux ans plus tard. Le 16 avril 1841, un arrêté ministériel rétablit la Direction des affaires arabes à l’intention du général Daumas, avant qu’un nouvel arrêté du 1er février 1844 fixe définitivement l’organisation des « Bureaux arabes ». Consacrés comme intermédiaires entre l’armée et les populations locales, ces bureaux étaient chargés de donner des renseignements, de fournir les moyens d’administrer les tribus, de veiller à la rentrée des impôts, de rendre la justice, d’assurer la police et de faciliter le prélèvement des terres par les colons. Cette préoccupation d’administrer les populations s’expliquait par la « concurrence » du projet d’Etat algérien incarné au même moment par l’émir Abd-el-Kader…
L’organisation sur le terrain consistait en bureaux de cercle, qui comprenaient des officiers, un secrétaire arabe ou khodja, un secrétaire français, un interprète, un médecin et un peloton de spahis. Ces bureaux de cercle, aussi dits de « seconde classe » étaient fédérés en bureaux de subdivision ou de « première classe », eux-mêmes placés sous la tutelle de bureaux divisionnaire, le tout chapeauté par une direction centrale ; l’ensemble de l’organisation étant subordonnée à l’autorité militaire. L’Annuaire militaire de 1846 détaillant les Bureaux arabes, donne les noms de leurs chefs : on y relève des noms connus : le colonel Daumas (qui sera fait prisonnier ultérieurement par Abd-el-Kader), et six futurs généraux : Bourbaki, Lapasset, Bazaine, Boissonnet, Marguerite et Ducrot.
En 1870, l’Algérie comptait cinquante bureaux, occupant près de 200 officiers. Les Bureaux arabes étant investis de la responsabilité administrative, ils sont parfois le lieu d’abus de pouvoir, le paternalisme fleurant avec la prise illégale d’intérêt quand il s’agit de la gestion d’entreprises. En parallèle, bon nombre d’officiers croient en leur mission civilisatrice, d’autant que l’occupation turque avait favorisé l’anarchie tribale. Par exemple, le lieutenant Hartmayer, qui exerça dans les Bureaux arabes d’Orléansville, Ténés, Miliana, Aumale, Béni Mansour, Médéa, Djelfa, Boghar et Médéa, publia une brochure intitulée : De la vulgarisation de la langue française chez les Arabes. Il n’est pas rare même que les Bureaux arabes arbitrent en faveur des indigènes dans un conflit avec les colons, notamment au sein des Commissions des transactions qui s’occupent des terres agricoles. La sédentarisation obligée des nomades et de cantonnement s’accompagnait de l’appropriation par les colons européens des terres ainsi libérées, les meilleures, colons dont le nombre se multiplie à mesure que l’armée française étend sa pénétration et consolide ses possessions.
La vie d’un officier des Bureaux arabes n’est pas sans risque. Ainsi, au printemps 1849, le lieutenant Séroka en poste à Biskra, est en tournée à Zaatcha, des les Zibans, où il intervient dans un début de rébellion, menée par le leader d’une secte religieuse. Ayant arrêter ce dernier, l’officier doit affronter la colère des habitants et leur laisser le prisonnier, parvenant non sans mal à regagner Biskra. C’est le début de l’insurrection des Zibans, prélude au siège de Zaatcha. En mai 1852, le lieutenant Séroka se distinguera au combat de Mlili et y gagnera le troisième galon. Il sera maintenu à Biskra comme chef du Bureau arabe jusqu’en 1860.
Ainsi encore l’expérience du capitaine Lapasset, muté en Algérie dès sa sortie de Saint-Cyr, en 1840. Le 29 janvier 1846, il part en reconnaissance dans la région d’Orléansville avec une centaine de chasseurs à pied, escortés par huit cavaliers arabes, et qui tombe dans une embuscade de 1 200 fantassins et cavaliers. Le combat est rude, mené à coups de sabre et à la baïonnette, et à deux reprises, les Français essuyant un assaut durant leur retraite ; côté Français, on déplore 8 tués et 35 blessés, mais on parvient à se replier sans abandonner personne. Quinze jours plus tard, le capitaine Lapasset vient en aide à deux compagnies d’arrière-garde aux environ de Mazonna, en mauvaise posture faute de cartouches : il tue trois Kabyles et il est blessé d’un coup de feu à une main. Promu chef d’escadron, Lapasset sera nommé en 1853 directeur divisionnaire des Affaires arabes pour la province d’Oran, puis en 1854 commandant supérieur du cercle de Philippeville. Devenu colonel, il commandera en 1860 la subdivision de Sidi-bel-Abbès et l’année plus tard, celle de Mostaganem. Parvenu général de brigade en 1865, il quittera l’Algérie, après 27 années passée en Algérie.
L’Algérie au début du Second Empire
L’incarnation de la résistance algérienne, l’émir Abd-el-Kader, était emprisonné en France depuis sa reddition, malgré la promesse qui lui avait été faite par la Monarchie de Juillet d’aller s’installer en terre d’Islam ; et la seconde République n’avait pas cru revenir sur cette situation, par crainte de voir se réveiller la rébellion dans un territoire déclaré « partie intégrante de la France » et constitué de trois départements : Alger, Constantine et Oran. L’Emir avait changé trois fois de prison ; du fort Lamalgue au château de Pau puis au château d’Amboise.
Dès son entrée à l’Elysée, Louis-Napoléon avait songé à libérer l’illustre chef arabe. Mais la Constitution de 1848 l’obligeait à faire contresigner ses décisions de deux ministres, et aucun n’était favorable à la libération d’Abd-el-Kader, pas plus que le grand état-major… Ce n’est qu’après son coup d’Etat et sa prise du pouvoir que le Prince-Président peut concrétiser ce projet, peut-être en souvenir de Sainte-Hélène et de la trahison britannique à l’encontre de Napoléon Ier, la parole donnée par Abd-el-Kader au duc d’Aumale puis trahie par Louis-Philippe semblant une seconde version de l’épisode… Le Prince-Président connaissait aussi personnellement la rigueur de l’incarcération, lui qui avait passé en effet six longues années derrière les barreaux du fort de Ham…
Pour toutes ces raisons, le 16 octobre 1852, le Prince-Président, de retour d’un voyage triomphal en province, se rend à Amboise auprès de l’Emir, pour lui annoncer qu’il est libre, qu’il sera conduits dans l’Empire ottoman et qu’il recevra une rente viagère « digne de [son] rang ». Le maître de la France explique au prisonnier que sa « captivité [lui] causait une peine véritable » en lui rappelant « sans cesse que le gouvernement qui [l]’a[vait] précédé n’avait pas tenu les engagements pris envers un ennemi malheureux », « et rien, dit-il, n’est à mes yeux plus humiliant pour le gouvernement d’une grande nation que de méconnaître sa force au point de manquer à sa promesse. La générosité est toujours la meilleure conseillère ». Louis-Napoléon se disait confiant en la loyauté de son interlocuteur et en sa soumission « aux décrets de la Providence » : « si la France [était] maîtresse de l’Algérie, c’est que Dieu l’a[vait] voulu, et la nation ne renonce[rait] jamais à cette conquête ».
Bouleversé, l’Emir témoigna une gratitude d’autant plus vive que le Prince-Président tenait ainsi « la parole que d’autres [lui] avaient donnée et n’[avaient] pas tenue ».
A partir de ce jour, la rébellion algérienne ne pourra pas s’appuyer sur l’illustre exilé. Il n’est pas anecdotique de rappeler qu’avant son départ de France, Abd-el-Kader fut fêté comme un héros par les Français, à commencer par ses anciens adversaires sur le champ de bataille africain. A Satory, une grande revue militaire fut donnée en son honneur, l’Emir étant accueilli par le général de Saint-Arnaud (devenu ministre de la Guerre) et les généraux Daumas, Cornemuse et de Rilliet. Au cours de ces journées parisiennes, Abd-el-Kader rencontra d’anciens soldats de l’armée d’Afrique, qui se souvenaient de sa clémence : un certain Michel, combattant rescapé de l’assaut de Sidi-Brahim, proposant de l’escorter jusqu’en Turquie et d’y demeurer à son service. Une telle proposition fut plusieurs fois formulée par d’autres militaires français…
Si Napoléon III inaugure son règne par la libération de l’émir Abd-ek-Kader, il ne consacre pas à l’Algérie une attention particulière. Durant la première partie de son règne, Napoléon III semble même subir cet héritage comme un fardeau, parlant d’un « boulet » - un terme que le général de Gaulle reprendra. Il faut dire qu’à cette époque, le sujet est secondaire par rapport aux multiples enjeux nationaux et internationaux que le souverain français doit relever. Aussi le jeune colonie française vit-elle au rythme des révoltes indigènes et des campagnes militaires de pacification, au rythme aussi des changement des gouverneurs généraux et des modifications de statut du territoire.
La reddition d’Abd-el-Kader avait permis l’occupation du nord-ouest de l’Algérie. Mais la région de la Kabylie, où l’on n’avait pas reconnu l’autorité de l’Emir, résistait. La Petite Kabylie fut conquise entre 1849 et 1852 tandis qu’il fallut attendre juillet 1857 (et la fin de la guerre de Crimée, mobilisatrice en troupes) pour voir se rendre les tribus de Grande Kabylie, avec la capture de la maraboute Lalla Fatma N’Soumer, aux termes de combats sanglants.
L’influence de personnalités originales vont pousser l’Empereur à se saisir du dossier plus personnellement : le ministre de la Guerre, le maréchal Randon, nommé en 1860, défend bec et ongles l’armée d’Afrique, contre les empiètements des colons ; Frédéric Lacroix, ancien administrateur en Algérie, qui dénonce les vices du système colonial et effectue des aller et retours fréquents entre Paris et Alger ; le colonel Lapasset, des Bureaux arabes, qui défend la cause des indigènes. Citons surtout Ismaïl Urbain. Il s’agit d’un mulâtre de Guyanne époux d’un musulmane d’Algérie, converti à l’islam, formé par les Saint-Simoniens, et qui s’était fait interprète arabo-français au sein de l’armée d’Afrique. Débarqué à Alger en 1837, il avait servi Bugeaud et Changarnier. Sa parfaite connaissance de l’islam et son intelligence le font admettre au Conseil consultatif auprès du Gouverneur général à Alger, avant d’être appelé à Paris au ministère de la Guerre, en 1845. Trois ans plus tard, il publia un essai sur l’Algérie. Du gouvernement des tribus. Chrétiens et musulmans, Français et Algériens, qui le fit remarquer, et en 1856, il en signe un autre, sur « la tolérance dans l’islamisme ».
En 1860, Napoléon III le nomme conseiller-rapporteur auprès du gouverneur d’Alger. Urbain rédige deux essais qui nourriront le projet impérial : L’Algérie pour les Algériens, publié sous le pseudonyme de Georges Voisin, en 1861, puis L’Algérie française. Indigènes et immigrants, en 1862. Inspiré par le saint-simonisme et par le mouvement des nationalités, Ismaïl Urbain trouve en Napoléon III l’interlocuteur rêvé pour concevoir un plan d’assimilation des populations indigènes, provoquant l’ire des Européens d’Algérie, qui dénoncent la paresse naturelle des Arabes.
A la même période, les gouverneurs généraux qui se succèdent en Algérie penchent plutôt du côté des Européens, qui résistent aux idées impériales, avec comme « porte-drapeaux » le directeur de Services civils de l’Algérie, Mercier-Lacombe, le docteur Warnier et l’économiste Jules Duval…
Napoléon III et le Royaume arabe
Apôtre des nationalités en Europe, Louis-Napoléon ne peut pas être insensible au sort des indigènes d’Algérie. L’Empereur voit au-delà des limites de ce territoire ; il rêve d’un vaste royaume arabe dont le centre serait à Damas, pour contrebalancer l’influence ottomane. Il songe à l’émir Abd-el-Kader, dont il admire la noblesse et la loyauté, pour tenir ce rôle. En effet, l’Emir tenait sa promesse de non intervention dans les affaires algériennes, mais en plus faisait preuve de courage, d’ouverture et de générosité en prenant la protection des minorités chrétiennes à Damas, dans le massacre programmé par le sultan ; sauvant par là même la vie du consul de France. Mais l’ancien guerrier était devenu mystique et refusera de jouer un rôle politique.
En septembre 1860, l’Empereur entreprend un voyage avec l’impératrice Eugénie, voyage interrompu en raison de la mort de la duchesse d’Albe, sœur de l’Impératrice. Napoléon III y fait une déclaration remarquée, car il évoque un « royaume arabe » associé à la France, en réfutant le statut de « colonie ».
Dans les mois qui suivent, Napoléon III reçoit en France avec cérémonie les chefs musulmans comme l’agha Moqrani, gouverneur de la Medjana, en le qualifiant de « citoyen illustre ». Moqrani qui, dix ans plus tard, prendra la armes contre la France républicaine... l’Empereur choie les soldats indigènes, les tirailleurs et spahis qui, depuis la guerre de Crimée (1854-55), se battent aux côtés des Français dans l’armée impériale. Napoléon III choisit d’intégrer des tirailleurs algériens et des spahis à son service, aux côtés de la prestigieuse Garde impériale.
L’Empereur rassemble rapports et statistiques, qui lui apprennent que les douars du Constantinois émigrent en Tunisie, et que le délégué algérien à l’Exposition universelle de Londres de 1862 a été frappé d’ostracisme…Napoléon III lance en Algérie de grands projets d’infrastructure (chemins de fer, ouvrages d’art), pousse à l’amélioration sanitaire, à l’organisation de l’assistance publique et judiciaire... Le 3 février 1863, il rédige une instruction au gouverneur général d’Algérie, le maréchal Pélissier (texte publié au journal officiel, alors le Moniteur universel), dans laquelle il réaffirme que « l’Algérie n’est pas une colonie à proprement dite, mais un royaume arabe », que « l’Algérie a dévié de sa voie naturelle du jour où on l’a appelée une colonie », qu’il faut donner « une impulsion toute contraire à celle qui existait jusqu’à ce jour », notamment en stoppant le cantonnement des indigènes. Napoléon III décide d’enlever à l’administration civile la délimitation des terres au profit de « commissions provinciales » placées sous l’autorité des Bureaux arabes, avec la recommandation de « cantonner les Européens et non les indigènes ». Il prescrit « de rendre les tribus ou factions de tribus propriétaires incommutables des territoires qu’elles occupent à demeure fixe, et dont elles ont la jouissance traditionnelle, à quelque titre que ce soit » :
« Egalité parfaite entre indigènes et Européens, il n’y a que cela de juste, d’honorable et de vrai ». « Les indigènes ont, comme les colons, un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français ». « Il faut convaincre les Arabes que nous ne sommes pas venus en Algérie pour les opprimer et les spolier mais pour leur apporter la civilisation. Or, la première condition d’une société civilisée, c’est le respect du droit de chacun ».
Napoléon III s’indigne de la sous-exploitation des 420 000 hectares que l’Etat a livrés à la colonisation, et s’oppose aux « colonistes », qui perpétuent les « droits despotiques du Grand Turc » et qui rêvent d’imiter les colons d’Amérique, en « refoulant toute la population arabe dans le désert » et leur infligeant « le sort des Indiens[…], chose impossible et inhumaine ». L’allusion aux Etats-Unis renvoie à la politique de refoulement et de spoliation des tribus indiennes mise en place par le gouvernement fédéral américain à partir des années 1840, parquant les « peaux-rouges » dans des réserves, les déportant vers l’Ouest (100 000 en vingt ans), les privant de subsistance par des campagnes d’abattage des bisons, leur interdisant de parler leur langue et de pratiquer leurs cultes ; tout cela pour permettre aux migrants européens de s’installer et d’ exploiter l’or situé sur ces territoires...
Pour l’Algérie, Napoléon III envisage une société hiérarchisée, où chacun aurait sa place : « sur cette terre assez vaste pour que chacun puisse donner essor à son activité et à ses aptitudes particulières, l’élevage des chevaux et du bétail, les cultures naturelles, seront réservées aux Arabes. Aux colons, l’exploitation des forêts et des mines, les cultures perfectionnées », l’industrie…
Le 22 avril 1863, Napoléon III impose un sénatus-consulte établissant la propriété individuelle des cultivateurs arabes (fellahs), jusque-là en indivision. Jusqu’alors, le service des Domaines délimitait les biens réservés aux tribus, et favorisait ouvertement les colons : Napoléon III leur substitue des commissions provinciales, au sein desquelles les indigènes sont admis, sous l’autorité des Bureaux arabes, donc de l’armée ; et pour toute vente dépassant 5.000 francs, l’approbation de l’Empereur est nécessaire. Enfin, les douars (villages arabes) sont officiellement dotés d’un statut administratif, destiné à équivaloir aux municipalités européennes. Ainsi, on modernisait les structures traditionnelles algériennes, tout en les protégeant.
L’Empereur replace le gouvernement civil de l’Algérie par un gouvernement militaire, l’armée ayant pour mission officielle de favoriser d’abord le développement des populations indigènes. Mais le maréchal Pélissier est un piètre exécutant de la politique impériale. Il se contente d’accuser réception des messages de Napoléon III, qui se répètent, aucun n’étant plus explicite que le suivant :
« Vous devez avoir en vue la protection et l’intérêt des Arabes. C’est sur eux surtout qu’il faut fonder notre domination, non seulement en fixant dans leurs mains ce qu’ils ont mais encore en leur faisant les concessions de terrain et les adjudications de forêts qui sont à votre disposition. Quant aux colons, ils arriveront bien d’eux-mêmes lorsque le pays sera tranquille et prospère, comme nous en avons un exemple en Amérique… ».
Les idées impériales surprennent autant qu’elles irritent les Européens d’Algérie, qui réclament une consultation électorale sur le sujet. Pélissier meurt le 22 mai 1864 sans que de grands changements se soient produits au bénéfice des populations indigènes. Son successeur, le maréchal de Mac-Mahon, que l’Empereur a fait duc de Magenta pendant la guerre d’Italie, semble être plus sûr… Mais les idées impériales irritent fortement la population européenne d’Algérie, constituée d’aventuriers, d’agriculteurs en manque de terres, d’opposants politiques en exil. Cet ensemble hétérogène se retrouve dans son opposition au « régime du sabre », en votant contre la ratification du coup d’Etat de 1851 et le rétablissement de l’Empire. Du coup, lorsque Alger envoie des émissaires à Paris, afin d’exprimer le mécontentement de la colonie, Napoléon III refuse de les recevoir… Les Européens d’Algérie s’en remettent alors au Gouverneur militaire pour la défense de leurs intérêts.
La tournée d’inspection de 1865
Poussé par la curiosité et fasciné par la terre algérienne, Napoléon III décide d’y retourner, pour une tournée vaste d’inspection de l’ensemble du territoire. La durée de ce séjour (plus d’un mois, du 3 mai au 7 juin 1865) mérite qu’on s’y arrête, ne serait-ce parce que jamais plus un chef d’Etat ou de gouvernement français ne séjournera aussi longtemps en Algérie… Un séjour conçu comme une enquête minutieuse, Napoléon III ayant voulu se rendre compte par lui-même de la réalité algérienne. Il est notamment accompagné d’un traducteur remuant, le fameux Ismaïl Urbain, au grand dam des colons... Accueilli par la communauté européenne, l’Empereur demande qu’elle traite les Arabes « comme des compatriotes » :
« Nous devons être les maîtres parce que nous sommes les plus civilisés ; nous devons être généreux, parce que nous sommes les plus forts ».
Le 5 mai, il adresse aux Arabes une longue proclamation, où il évoque la mission libératrice de la France, qui a mis fin à la domination ottomane, et il n’élude pas le souvenir des longues années de lutte contre les Français :
« Loin de moi la pensée de vous en faire un crime ; j’honore, au contraire, le sentiment de dignité guerrière qui vous a portés, avant de vous soumettre, à invoquer par les armes le jugement de Dieu. Mais Dieu a prononcé… »
Napoléon III demande aux populations indigènes d’accepter « les faits accomplis », se référant au Coran, où il est dit que Dieu donnant le pouvoir « à qui il veut », tout comme il y est demandé de respecter les engagements passés. L’Empereur évoque aussi l’engagement des tirailleurs algériens et des spahis dans les récentes guerres de Crimée, d’Italie, et les campagnes en cours de Chine et du Mexique, qui cimentent l’union entre les races.
Napoléon III invite même les Arabes à imiter les Gallo-Romains :
« Comme vous, il y a vingt siècles, nos ancêtres aussi ont résisté avec courage à une invasion étrangère et, cependant, de leur défaite date leur régénération. Les Gaulois vaincus se sont assimilés aux Romains vainqueurs, et de l’union forcée entre les vertus contraires de deux civilisations opposées est née, avec le temps, cette nationalité française qui, à son tour, a répandu ses idées dans le monde entier ».
L’Empereur lance lors une idée qui, à 150 ans de distance, apparaît prophétique :
« Qui sait si un jour ne viendra pas où la race arabe régénérée, et confondue avec la race française, ne retrouvera pas une puissante individualité, semblable à celle qui, pendant des siècles, l’a rendue maîtresse des rivages méridionaux de la Méditerranée. »
En échange du respect de la parole d’Abd-el-Kader, en remerciement de la soumission au sort des armes (numériquement favorable aux Français), Napoléon III promet de veiller à l’ « intérêt » et au « bien » des populations autochtones :
« … vous connaissez mes intentions, j’ai irrévocablement assuré dans vos mains la propriété des terres que vous occupez ; j’ai honoré vos chefs, respecté votre religion ; je veux augmenter votre bien-être, vous faire participer de plus en plus à l’administration de votre pays comme aux bienfaits de la civilisation ».
Napoléon III visite en détail les trois provinces d’Algérie, traversant Alger, Boufarik, Koléa, Miliana, Blida – où on lui décerne le surnom de « Napoléon III l’Algérien », comme on parlait sous l’Antiquité de « Scipion l’Africain » -, Médéa, Oran, Misserghin, Sidi-Bel-Abbès, Saint-Denis du Sig, Mostaganem, Relizane, la Kabylie, Philippeville, Constantine, Batna, Lambèse, Biskra, Bône, Bougie...
Les Européens d’Algérie tâchent de faire bonne figure au souverain, mais Napoléon III n’est pas dupe. A Oran, où il assiste à une séance du Conseil général, l’Empereur ne peut s’empêcher d’ironiser lorsqu’on lui montre Français et Arabes siégeant côte à côte ; il demande alors à ses interlocuteurs comment des « chefs indigènes peuvent participer aux débats sans savoir un traître mot de français »…
Dans toutes les localités qu’il traverse, les discours officiels concluent sur la même demande : que l’Algérie soit purement et simplement annexée à la France et que des départements y soient créés, avec la même organisation administrative qu’en métropole. Napoléon III élude la question, sa réponse tournant toujours autour de l’intérêt général. En vérité, il ne veut pas d’une départementalisation à l’européenne… L’Empereur reste aussi silencieux quand on lui demande « des terres toujours disponibles », autrement dit, une extension de la colonisation. En 1865, les quelques 225 000 colons français et européens possèdent près de 700 000 hectares, et ils en réclament 400 000 supplémentaires.
Au cours de son séjour, l’Empereur découvre ainsi une société inégalitaire : les Arabes sont plus imposés que les Européens, qui sont exemptés de la contribution foncière et du service militaire et la justice à leur endroit est expéditive… Invitant à déjeuner le lieutenant Ali Shérif, qui avait grandi dans la Smalah d’Abd-el-Kader et qui servait désormais dans l’armée française, Napoléon III s’enquiert de son opinion ; celui-ci se déclare « très content » de la visite impériale :
« - Sire, avant l’arrivée de Votre Majesté, la situation des indigènes qui servent dans l’armée était intolérable. Nos compatriotes nous voyaient avec défiance entretenir des relations intimes avec les Français et les Français ne nous acceptaient pas comme camarades. On nous refusait l’avancement au-dessus du grade de lieutenant. Entre la méfiance et le dédain, nos cœurs ne gonflaient de tristesse et d’amertume ».
Napoléon III est l’objet de manifestations de sympathie passionnées de la part des musulmans, qui se déplacent en masse pour acclamer le « sultan de la France ». Des colonnes entières viennent au-devant de la voiture impériale, lui offrent des présents de bienvenue et organisent des festivités grandioses ; en échange, le souverain donne audience à plusieurs chefs de tribus, qu’il décore de la Légion d’honneur, invitant à sa table les caïds et aghas qu’il rencontre, distribuant de l’argent aux quémandeurs et des grâces aux solliciteurs. A ses interlocuteurs musulmans, l’Empereur déclare qu’il ne veut « voir dans les indigènes que des compatriotes, des Français et que, les traitant à ce titre, il [attend] d’eux le même dévouement à la patrie commune ». Dans plusieurs villes, comme à Alger ou à Biskra, l’Empereur visite l’école arabo-française et manifeste son désir de voir se multiplier ces établissements sur l’ensemble du territoire.
En quittant l’Algérie, Napoléon III s’adresse à l’armée d’Afrique, qu’il conforte dans son rôle de gardien de l’ordre, soulignant son esprit chevaleresque :
« … Jamais dans vos rangs la colère n’a survécu à la lutte ; parmi vous, aucune haine contre l’ennemi vaincu, aucun désir de s’enrichir de ses dépouilles ; vous êtes les premiers à tendre aux Arabes égarés une main amie et à vouloir qu’ils soient traités avec générosité et justice, comme faisant partie de la grande famille française ».
Un plan et des actions concrètes
De retour à Paris, Napoléon III adresse, au mois de novembre 1865, au gouverneur Mac-Mahon des consignes très détaillées (88 pages imprimées) où l’Algérie est définie comme « un royaume arabe ; une colonie européenne et un camp français ». L’Empereur y fait l’éloge du peuple arabe, « nation guerrière, intelligente », qui « mérite notre sollicitude » :
« …l’humanité, l’intérêt de notre domination commandent de nous la rendre favorable. Lorsque notre manière de régir un peuple vaincu sera, pour les quinze millions d’Arabes répandus dans les autres pays de l’Afrique et de l’Asie, un objet d’envie, le jour où notre puissance au pied de l’Atlas leur apparaîtra comme une Providence pour relever une race déchue, ce jour-là, la gloire de la France retentira depuis Tunis jusqu’à l’Euphrate… ».
« Je voudrais utiliser la bravoure des Arabes plutôt que de pressurer leur pauvreté… ».
Le 14 juillet 1865, l’Empereur fait voter par le Sénat un sénatus-consulte, qui permet que les autochtones d’Algérie, musulmans et juifs, soit considérés à l’égal des colons européens, et qu’ils aient pareillement accès aux emplois publics et militaires. Il est désormais permis aux indigènes d’obtenir la nationalité française, à condition de renoncer à leurs statut religieux (lequel, chez les musulmans, implique notamment la polygamie et la justice tribale).
De Paris, l’Empereur réorganise comme il peut le gouvernement d’Algérie. Il réunit le budget de l’Algérie à celui du ministère de la Guerre, ce qui lui permet d’avoir la haute main dessus. Il admet les indigènes dans les ventes foncières de l’Etat et ceux-ci vont ainsi acquérir plus de la moitié des lots ! Napoléon III créé quatre collèges électoraux (français, musulman, juif et étrangers européens) pour l’élection des conseils municipaux, les Français disposant des deux tiers des sièges ; et dans les communes de « plein exercice », les maires ont désormais des adjoints indigènes, et les conseils généraux s’ouvrent aussi aux indigènes, au prorata d’un tiers des élus. L’Empereur maintient le système des Bureaux arabes, tout en limitant leurs prérogatives à celle du contrôle de l’administration, sans pouvoir administrer eux-mêmes, afin d’éviter les abus commis précédemment.
Le torpillage administratif et l’opposition républicaine
Malheureusement, à ce programme ambitieux, structuré et prophétique, le gouverneur-général Mac-Mahon (futur président de la IIIe République) répond avec circonspection, et même condescendance, faisant valoir que le sort des Arabes est plus doux que celui qu’ils eussent imposé aux Français s’ils avaient gagné le combat, que les indigènes d’Algérie ont l’habitude d’être dominés (hier par les Turcs, depuis par les Français). Mac-Mahon ose même reprendre Napoléon III sur le contenu de ses directives, en lui faisant porter la responsabilité des problèmes algériens. Autrement dit, pour le Gouverneur général, il est urgent de ne rien faire…
Les dernières années du règne de Napoléon III sont dominées par les questions européennes et américaines (montée des nationalismes italiens et prussiens, échec de la campagne du Mexique) ainsi que par la maladie de l’Empereur, qui annihilent sa volonté. En Algérie, Napoléon III avait souhaité laisser à des compagnies privées la mise en valeur des terres, sans y mêler les représentants de l’Etat. Ce libéralisme fut très mal servi par ses bénéficiaires dont la Compagnie genevoise, la Société de l’Habra et de la Macta, ou la Société algérienne, qui spéculèrent honteusement sur les terrains qu’elles ne mirent nullement en valeur, en se bornant à louer les terres à des indigènes. Sur ce plan, son plan de développement économique est un échec…
Entre 1866 et 1868, l’Algérie est touchée par une sécheresse puis par la famine, et par une double épidémie de typhus et de choléra. On dénombre plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Arabes. Mal informé de cette réalité par Mac-Mahon, l’Empereur le rappelle à l’ordre vertement, considérant « que le gouvernement de l’Algérie ne se donne pas assez de peine pour remédier au mal… »
Apprenant que l’archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie, fait baptiser d’office les orphelins musulmans, Napoléon III redéfinit les missions de chacun, Eglise et Etat :
« Vous avez, monsieur l’Archevêque, une grande tâche à accomplir, celle de moraliser les 200 000 colons catholiques qui sont en Algérie. Quant aux Arabes, laissez ce soin au Gouverneur général ».
En 1869, une commission d’enquête parlementaire, présidée par le député de l’Ain, le comte Le Hon, conclut à la nécessité de doter l’Algérie d’institutions calquées sur celles de la métropole. Un projet de constitution pour l’Algérie est même ébauché… Alors que le second Empire se libéralise et que la liberté de parole est rendue à la presse et au Parlement, l’Algérie est le théâtre d’une campagne d’opposition virulente au gouvernement impérial. Mac-Mahon laisse faire… Au plébiscite de mai 1870, qui en métropole est un triomphe pour Napoléon III, l’Algérie répond majoritairement par le non (sans compter 35 % d’abstention).
Le 19 juillet 1870, la France se laisse entraîner à la guerre voulue par la Prusse. Avant même la capitulation de Napoléon III, Abd-el-Kader est circonvenu par le chancelier Bismarck, qui l’incite à profiter de la situation et de reprendre le combat contre la France. L’Emir répond avec indignation :
« Excellence, celui à qui vous avez adressé l’offre de marcher contre la très glorieuse France et de vous prêter le concours de sa loyale épée devrait, par mépris et dédain, s’abstenir de vous répondre. Que nos chevaux arabes perdent tous leur crinière avant qu’Abd-el-Kader ben Mahi ed-Din accepte de manquer la reconnaissance qu’il a pour le très puissant empereur Napoléon III (Que Dieu le protège) ».
La chute de l’Empire, suite à la défaite de Sedan, a une conséquence directe sur l’administration de l’Algérie, où elle saluée par des cris de joie chez les Européens. Dès le 24 octobre, le gouvernement provisoire de la IIIe République élabore un décret conférant la nationalité française pleine et entière aux 37 000 Juifs d’Algérie, par le décret Crémieux, alors que les Musulmans qui demeurent soumis au sénatus-consulte de 1865. Côté musulman, le prestige de la France est ébranlé ; d’autres décrets adoptés par la nouvelle République, comme celui qui livre les indigènes traduits en cour d’assise aux tribunaux européens, alors qu’ils relevaient jusqu’alors de la justice coutumière, provoque une très importante insurrection, menée par le bachaga de la Medjana, Mohammed Mokrani, rejoint par le cheik El Haddad de la confrérie des Ramahniya et aussi par le fils d’Abd-el-Kader, l’émir Mehieddine. 150 000 Kabyles se soulève, ce qui a des répercussions dans une grande partie de l’Algérie…
Le mouvement est désavoué par Abd-el-Kader, qui adresse au Gouvernement provisoire de la IIIe République un courrier reçu le 3 février 1871, où adressant des vœux de succès à l’armée française dans les rangs desquels combattent des Algériens, il condamne la rébellion algérienne, jugeant « ces tentatives insensées, quels qu’en soient les auteurs », et qu’elles « sont faites contre la justice, contre la volonté de Dieu et la (sienne) », priant « le Tout-Puissant de punir les traîtres et de confondre les ennemis de la France »… Finalement, le fils d’Abd-el-Kader trouve la mort au combat et le mouvement est écrasé dans l’année. De nombreux Kabyles sont déportés en Nouvelle-Calédonie…
S’ensuit la confiscation de plus de 500 000 hectares, attribués aux nouveaux colons, dont beaucoup sont composés d’Alsaciens-Lorrains chassés de chez eux par l’annexion allemande. Des milliers de fellahs sont ainsi clochardisés et vont grossir les rangs des miséreux errants. Fin janvier 1871, un autre mouvement insurrectionnel est déclenché dans l’est algériens, par les Spahis de Moudjebeur et Ain-Guettar, qui refusaient de quitter l’Algérie pour être envoyés en France.
La décennie 1870 voit le démantèlement progressif en Algérie des Bureaux arabes, dont le modèle va cependant servir trente ans plus tard lors de la conquête du Maroc, avec la création des bureaux des Affaires indigènes. En 1873, année qui voit mourir Napoléon III en exil, le colonialiste Warnier, député d’Algérie à l’Assemblée nationale, fait voter une loi interdisant l’indivision tribale, ce qui entraîne la vente à bas prix de milliers d’hectares cultivés par les paysans Arabes. L’administration des terres revient à l’administration civile, le cantonnement des indigènes redevant la règle.
En 1881, la IIIe République établira en Algérie un Code de l’indigénat qui s’apparente à un apartheid : les musulmans ne relèvent pas du droit commun, doivent circuler avec un laissez-passer, n’ont pas le droit d’organiser des réunions non autorisées et sont, à revenu égal, huit fois plus imposés que les colons ; l’accession à la citoyenneté française est assortie de conditions vexatoires. Les contrevenants au Code sont passibles de peine de prison ou de la déportation, sachant que l’infraction d’un seul entraînait la punition de son village. Ce code sera effectif jusqu’en 1946. En Kabylie, la France procède à l’arabisation forcée des noms de lieux et de famille. L’objectif de l’autonomie locale du territoire algérien est définitivement enterré, au profit d’un système colonial pur et simple.
Conclusion
L’époque des Bureaux arabes et du Royaume arabe allait retrouver une certaine actualité un siècle plus tard. En 1955, la rébellion FLN conduit le gouverneur général d’Algérie, Jacques Soustelle, à créer les Sections administratives spécialisées, ou « SAS ». Dans la politique de « pacification » alors à l’ordre du jour, les SAS héritaient de missions médico-scolaires et sociales auprès des populations rurales musulmanes, afin de la conserver à la cause de l’Algérie française en leur favorisant l’accès au progrès. Ces missions « humanitaires » se doublaient de celle du renseignement, cette dernière étant même jugée prioritaire par Alger. Les historiens de la guerre d’Algérie s’accordent pour reconnaître aux officiers des SAS un comportement protecteur des populations dont ils avaient la garde, résurgence du paternalisme des Bureaux arabes d’autrefois.
Quant au royaume arabe de Napoléon III, l’éloge allait en être fait, en privé certes mais au plus haut niveau de l’Etat, par le général de Gaulle, dans une confidence à Alain Peyrefitte, le 10 décembre 1960. Le Président de la République française rentrait d’une énième visite en Algérie, où il avait reçu un accueil détestable des deux communautés antagonistes, européenne et musulmane :
« … sous tous les régimes, l’administration a régulièrement brimé les indigènes au profit des colons. Un seul a compris dans quelle impasse on s’enfonçait : Napoléon III. Il voulait faire un royaume arabe. Il admirait la noblesse des chefs arabes. Abd-el-Kader s’était conduit de façon chevaleresque à Damas, en sauvant de la mort des Français et des Maronites qu’il avait arrachés à la population déchaînée. Louis-Napoléon voulait susciter une aristocratie et plus tard une dynastie qui auraient constitué l’armature de ce royaume. La France en aurait simplement assuré la protection, jusqu’à ce qu’il ait atteint la capacité de s’émanciper. Les Européens auraient été non les dominateurs, mais le levain dans la pâte. On est passé à côté de la seule formule qui aurait été viable […] Nous payons cent trente ans d’aveuglement ».
Le député Jean de Broglie, qui était présent à cet entretien, s’étonnait de cet hommage à « Napoléon le Petit ». Ignorant ce commentaire, le général de Gaulle poursuivit son idée, en insistant sur la dimension géostratégique du projet impérial :
« Le royaume arabe, c’était plus qu’une politique algérienne, c’était une politique arabe. Vous avez lu la lettre d’instructions d’une centaine de pages que Napoléon III a envoyée à Mac-Mahon en 1865 pour tirer aussitôt les conclusions de son long voyage en Algérie ? […] La France aurait pu devenir la protectrice des intérêts musulmans depuis la Mauritanie jusqu’à l’Euphrate. Elle aurait aidé tous ces pays à se moderniser sans prétendre à les gouverner. Cette politique-là permettait d’avoir une influence prépondérante en Egypte, au Levant, dans tout le Proche-Orient. Nous avons creusé le canal de Suez en faisant valoir aux Egyptiens qu’il faciliterait le pèlerinage de La Mecque. La politique de l’Algérie française a réussi à la fois à nous enfermer dans un piège en Algérie, à nous chasser de Suez et d’Egypte, à nous mettre à dos tout le monde arabe ».
Ainsi, en pleine guerre d’Algérie, était soulignée l’actualité d’une pensée trop longtemps considérée comme dépassée.
A l’heure d’aujourd’hui, où les relations franco-algériennes demeurent malaisées, la réintégration du projet algérien de Napoléon III dans les mémoires, de part et d’autre de la Méditerranée, ouvre un espace d’apaisement...
Claude VIGOUREUX, Membre du CS de la FM-GACMT (Texte extrait des actes de la Journée d'Etudes du 10 décembre 2012)
FM-GACMT 2012
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