COLONISATION: La politique coloniale sous le Second Empire
«Comment développer notre commerce extérieur, si, d’un côté, nous renonçons à toute influence en Amérique, et si de l’autre, en présence de vastes territoires occupés par les Anglais, les Espagnols et les Hollandais, la France restait seule sans possessions dans les mers d’Asie». Napoléon III, Empereur des Français, lors du discours du trône en 1863.
Le Second Empire est instauré le 14 janvier 1852, Louis Napoléon Bonaparte devient Napoléon III. Cet empire perdure de 1852 à 1870 et voit pour la France une période de modernisation avec de grands aménagements du territoire. Une modernisation des flux notamment avec le développement d’un grand réseau ferroviaire, les agrandissements des voies de circulations (travaux Haussmanniens) et le développement de la marine commerciale. Cette politique de modernisation s’inscrit dans une ambition géopolitique de l’empereur. La politique extérieure de Napoléon III aboutit à travers différents moyens à l'expansion territoriale de la métropole française mais aussi à l'expansion du domaine colonial français. Le Second Empire n’est pas exclusivement centré sur l’Europe, il se veut “international” si ce n’est “mondial” (territorialement et commercialement). Les colonies sont un bon moyen d’avoir une présence mondiale et de participer au développement économique de la France. Ces colonies sont présentes dans 6 grandes régions du monde: Amérique du Sud, Extrême Orient, Afrique, Océanie, Amérique du Nord, Moyen Orient. Le Second Empire représente dans la gestion coloniale une avancée majeure, dans un courant de modernisation et de politique économique libérale. Bien que Napoléon III ne soit pas favorable dans un premier temps à la colonisation, il oriente finalement une partie de sa politique extérieure vers le colonialisme dans une ambition bien précise. Ces colonies sont vecteurs de développement pour la métropole mais aussi pour les colons.
En quoi les térritoires coloniaux et leurs différents statuts répondent à des besoins économiques et de relations internationales ? Nous verrons que la politique coloniale de Napoléon III répond à ces besoins ci. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la structure administrative de l’empire colonial qui révèle l’importance de ces territoires. Dans un second temps, nous évoquerons les raisons économiques de la colonisation. Enfin, nous aborderons l’aspect géopolitique de la colonisation.
La structure administrative de l’empire colonial
La répartition des territoires et la datation rapide de la colonisation.
L’Empire colonial du Second Empire s’appuie sur les vestiges des territoires coloniaux royaux (1604-1792), mais cet espace colonial on le verra tout le long du règne de l'empereur sera agrandi.
En 1851 et 1852 l’empire colonial Français comprend les 5 comptoirs indiens (Yanaon, Karikal, chandernagor, Mahé et Pondichéry) établis par le traité de Paris du 17 février 1763, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, Saint Pierre et Miquelon, la Guyane côtière, Saint Louis, Gorée et Bakel sans oublier la côte Algérienne. Il s’agit principalement d’îles à sucres, ou alors de conquêtes très récentes dans le cas de l’Algérie. Il est possible d'ajouter à ces territoires coloniaux les différents protectorats. En 1852, on compte dans ces protectorats, celui de Tahiti par exemple (9 septembre 1842). Napoléon III mène une véritable politique coloniale et agrandie durant son règne les possessions outre mers. Il y a plusieurs conquêtes, expansions coloniales durant le Second Empire.
Le 24 septembre 1853, le contre-amiral Febvrier-Despointes prend au nom de la France possession de la Nouvelle Calédonie, un territoire au combien stratégique en Océanie. Nous avons aussi la conquête de l'hinterland (l’arrière pays) de l’Algérie qui prend fin en 1857 par la conquête de la Kabylie. En 1859 se sont les îles Tuamotu proches de Tahiti qui sont conquises. Nous retrouvons de même la conquête de la Cochinchine de 1859 à 1867 (traité en 1862), la date de 1867 est avancée par Christian Schnakenbourg et Jean Sagne. La Cochinchine est une colonie aux nombreuses ressources, proche des routes commerciales et des marchés de la mer de Chine.
En Afrique, c'est la conquête du Sénégal qui se joue. A partir des postes de commerces de Gorée et de Saint Louis, la conquête s’opère sous les ordres de Faidherbe. Elle est initiée en 1857 et se termine en 1862 Obock, proche de Djibouti, est acheté en 1862. Mais aussi de nouveaux protectorats sont conclus; on retrouve celui de Madagascar en 1862, du Cambodge en 1863, une tentative de royaume Arabe en Algérie sans oublier l’aventure Mexicaine qui est elle aussi un échec.
Les statuts entre colonie et protectorat
Après avoir fait un descriptif géographique et une chronologie générale des expansions coloniales sous le Second Empire, nous allons désormais nous intéresser aux différents statuts entre colonies et protectorats. On peut même voir qu’il existe des statuts différents entre les colonies de l’empire français.
Un protectorat est un traité signé entre deux états, ce traité place l’un des états sous la protection militaire et diplomatique du second. Ainsi, le protectorat perd le contrôle de sa politique extérieure et militaire, en revanche conserve en théorie toute autorité sur sa politique intérieure. Un protectorat voit aussi en général la mise en place de mesures économiques favorables au protecteur. Ainsi un protectorat français, sera sous protection militaire du Second Empire, et concède des avantages économiques à son protecteur, par exemple en versant un tribut (moyen de rétribution très répandu).
Tandis qu’une colonie est une conquête, relevant entièrement de l’autorité de conquérant. Il s’agit d’une expansion territoriale. Ainsi, le territoire et ses populations passent sous administration de l'État colonisateur. Bien souvent, les populations indigènes / autochtones / locales sont sous autorité coloniale mais ne sont pas considérées comme françaises durant le Second Empire. Selon André Masson, il est possible de diviser en 3 groupes les colonies impériales françaises. On a le groupe des "grandes" ou "anciennes colonies", le groupe des "autres colonies" (nouvelles conquêtes), et celui de "l’Algérie".
Concernant les grandes colonies, on retrouve la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, des îles à sucre, où la population s’est fortement développée d'après les recherches d’Ernest Lavisse. Ces “grandes colonies” possèdent, on le verra une certaine autonomie tarifaire par rapport à d’autres territoires et une administration légèrement différente.
Les autres colonies regroupent : l'Inde, la Cochinchine, la Nouvelle Calédonie, Saint Marie de Madagascar, la Mayotte, le Gabon, la Guinée, le Sénégal, la Guyane et Saint-Pierre et Miquelon. Enfin l’Algérie est un territoire qui possède un statut particulier. Sans oublier le projet du "Royaume Arabe" de Napoléon III.
Les différents statuts administratifs jouent un rôle dans cette politique coloniale liée à l’économie et aux enjeux diplomatiques de l'époque. Dans les deux cas de figures, l'État français perçoit des revenus soit de ses colonies soit de ses protectorats.
L’administration des territoires coloniaux et des protectorats
Les colonies et protectorats sont administrés de différentes manières selon leur statuts bien qu’il y ait de points communs dans cette administration.
Tout d’abord, nous allons parler de la gouvernance générale puis plus spécifique des colonies. Ainsi, l’empereur gouverne dans les colonies par ordonnance et le gouverneur applique les ordonnances. La constitution de 1852 établit le Sénat comme l'un des administrateurs de ces territoires pour les affaires communes avec la création d’un comité consultatif. Ce dernier serait formé par des envoyés du gouverneur et des délégués des conseils coloniaux. Les ministères sont parfois aussi chargés de la gestion coloniale. De sorte que l’on retrouve le ministère de l’Algérie et des colonies jusqu’en 1860 dirigés par le cousin de Napoléon III. Et enfin le ministère de la marine et des colonies et celui de la guerre peuvent être chargés des colonies. On remarque que cette gestion coloniale est étroitement menée avec le personnel militaire.
Mais la gestion propre entre les colonies n’est pas toujours identique. Tout d’abord, nous devons évoquer le Sénatus-consulte du 3 mai 1854 qui fixe la politique de gestion coloniale. Ce dernier règle la constitution des vieilles colonies, c’est-à-dire la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion. Il y a un conseil général dans chacune de ces colonies, conseil nommé par le gouverneur et par les conseils municipaux à hauteur de 50/50. Les conseils municipaux sont nommés par le gouverneur. Avec abolition définitive de l’esclavage. Ernest Lavisse établit que les colonies ont une certaine autonomie de développement : le budget propre de la colonie comprend les travaux publics, les constructions, les frais d’administrations et d'enseignement. L'État prend en charge les dépenses de protection militaire.
Concernant l'Algérie on a une administration particulière, on a trois provinces: Alger, Oran et Constantine. Nous avons pour chaque province un général de division qui assure l’autorité impériale. En 1852, l’Algérie est placée sous le régime des sénatus-consultes et sous autorité militaire. L’Algérie relève du ministère de la guerre, le gouverneur général est nommé par l’empereur,et dispose d’un sous-gouverneur et d’un état major des armées. Administration particulière avec trois types de communes: civiles, mixtes et arabes.
Mais encore, les différences de gestion sont visibles par différentes lois. Le 14 janvier 1860, la Nouvelle Calédonie, les îles marquises et établissements militaires de Tahiti sont érigées en colonies séparées, on établit alors une nouvelle administration pour ces circonscriptions territoriales. À travers son ouvrage et ses recherches, Jean Sagne dévoile que les régimes juridiques peuvent être différents selon les colonies. Pour les vieilles colonies c’est la justice française qui s'applique sur ces espaces, comme si ces territoires ne sont qu’une extension de la France. Tandis que les nouvelles, récentes colonies sont soumises à deux régimes juridiques, la justice locale pour les indigènes et la française pour d’autres parties de la population. La justice française reste la référence en cas de litige.
Par ailleurs concernant les protectorats, on va ici prendre l’exemple de Tahiti, Nous retrouvons une présence importante de soldats et fonctionnaires français. Selon Colin Newbury se sont des officiers de la Marine qui supervisent de 1850 à 1863 la région Tahitienne. On pourrait parler si on s’appuie sur les recherches de Colin Newbury de tentatives d’ingérence de la part des officiers français. Des politiques françaises qui s'immiscent dans les politiques locales de la reine de Tahiti. Par exemple, en établissant une Assemblée législative tahitienne qui permet de limiter l’autorité de la reine. On établit aussi dans ce protectorat des districts et chefs de districts, un tribunal indigène à Touamotou et en 1865 la justice française s'applique aux sujets du royaume de Tahiti.
Une colonisation pour des raisons économiques
L'accès et l'ouverture des marchés étrangers et ressources (Extrême Orient, Siam, Sénégal) par colonisation ou protectorat.
Comme aspect économique de la colonisation, on peut retrouver l’argument de l’ouverture à de nouveaux marchés mais aussi celui de la conquête de ressources commerciales. Dans cette logique de conquête de débouchées s’inscrit la colonisation du Sénégal mais aussi celle de la Cochinchine.
D’une part, la colonisation du Sénégal commence en 1857 et se termine en 1862. Ce sont les comptoirs marchands de Saint Louis et de Gorée qui sont les points de départ de la campagne militaire de Faidherbe. Cette initiative militaire est poussée d’une certaine façon par la communauté commerçante des arachides et de la gomme arabique, notamment les négociants bordelais selon Eric Anceau. En effet, le but de cette opération est de contrôler l'approvisionnement et la production de cette ressource, et pour cela il faut contrôler “en profondeur” le territoire concerné. Il s’agit donc d’une conquête armée qui oppose les troupes de Faidherbe face aux Royaumes Wolof et du Cayor.
D’autre part, la deuxième grande expédition coloniale liée aux débouchés commerciaux est celle de la Cochinchine. Cette conquête a lieu de 1859 à 1867. L’expédition de la Cochinchine se déroule à la suite des expéditions de Chine en 1857 et 1860 et aux pressions diplomatiques sur le Siam, sur l’empire d’Annam et sur le Cambodge. Ces actions avaient pour objectif d'obtenir des avantages commerciaux en mer de Chine et dans ces contrées d’Extrême-Orient.
Effectivement pour forcer l’Empire du milieu à ouvrir davantage son marché, des actions militaires sont organisées et aboutissent à l'ouverture du marché chinois. Dans les années 1850, des actions diplomatiques ont lieu avec les puissances locales d'Extrême-Orient (notamment dans la région qui deviendra l'Indochine). Les discussions devant aboutir à des avantages commerciaux et l’ouverture des marchés de ces pays. La France obtient du Siam en 1852, un traité d’une durée de 12 ans qui assure à l’Empire français la liberté de commerce au Siam, la liberté de religion, de recherches scientifiques, le droit de propriété et une des taxes sur les marchandises françaises moins importantes. Annam quant à lui refuse de négocier, c’est dans ce contexte que l’expédition de Cochinchine prend place. Une opération de 14 navires français qui doivent faire plier le roi ou empereur d’Annam à céder face aux demandes françaises (liberté de religion et avantages commerciaux). L’escadre française prend Tourane et descend le Mékong jusqu'à Saigon qui est conquise en 1859, qui se trouve être le grenier en riz d’Annam. Cette future colonie de Cochinchine est selon Ernest Lavisse une “colonie de hasard”, une opération militaire contre le roi d’Annam qui se transforme ensuite en projet de conquête. Les troupes impériales occupent dans un premier temps les places fortes. Mais cette occupation finit par se transformer en projet colonial avec la mise en place d’un gouvernement militaire.
En Extrême Orient, le Cambodge devient un protectorat le 11 août 1863. Un avantage économique et géographique. Il est proche de la Cochinchine, du marché chinois et de la mer de Chine, il est donc un réel point d’appuie.
Libéralisation de l’économie des colonies (liberté de commerce...)
Pour comprendre le rôle économique des colonies dans l’idée de l'empereur Napoléon III Bonaparte, il faut s’intéresser aux différentes lois qui régissent les marchés coloniaux.
En effet, on peut parler d’une sorte de libéralisation de l’économie des marchés coloniaux. Après avoir accés à de nouveaux marchés et ressources, l’objectif est d’ouvrir son propre marché. L'élément fondateur de cette libéralisation économique est l’abrogation du pacte colonial le 3 janvier 1861 qui fait suite, prolonge la mise en place du traité commercial de libre échange entre la France et le Royaume Uni de 1860. Jean Sagne évoque dans son article que le saint-simonisme c’est développer les réseaux de circulation de l’argent, des marchandises et du savoir pour accompagner une politique sociale aussi. Cette libéralisation de l’économie des colonies est caractérisée par un grand nombre de lois qui promeut la liberté de commerce. Le 3 juillet 1861 est donc abrogé le pacte colonial, c’est à dire que désormais les colonies sont libres de commercer avec les puissances étrangères et non seulement avec la métropole. Par cette décision, c'est tout le système colonial de l'Anciern Régime qui prend fin.
Les droits de douanes sont identiques à ceux de la France métropolitaine. Ce dispositif est complété par le sénatus consulte du 4 juillet 1866 qui permet aux colonies de fixer leurs propres tarifs douaniers. Ou encore, le 10 mai 1866, est proclamé la fin des droits de tonnage pour les navires étrangers concernant le commerce colonial. On a donc une véritable libéralisation économique.
Le développement économique des territoires coloniaux
L’ambition économique coloniale encourage le développement agricole et économique de ces nouveaux territoires.
Tout d'abord, nous allons évoquer le rôle de l’agriculture dans le développement économique de ces espaces outre-mer. On peut se référer à certaines citations de Louis Napoléon Bonaparte, comme celle de 1842 : «L’agriculture est l'élément de la prospérité d’un pays, parce qu’elle repose sur d'intérêt immuables et qu’elle forme la population saine, vigoureuse, morale des campagnes». On peut parler d’une véritable ambition agricole coloniale. Jean Sagne établit dans son ouvrage la citation suivante: «Nous avons d’immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemin de fer à compléter». La volonté de développement est là.
La production agricole reste majoritairement spécialisée dans l'agriculture de produits exotiques.
Pour les grandes colonies de l'Atlantique, on retrouve une production sucrière, de thé, café et tabac. On assiste aussi à un ensemble de développements d’infrastructures de communications (routes, ponts, …) et commerciales, avec par exemple la construction du port de Dakar en 1857. Donc une agriculture en partie destinée à l’exportation avec une spécialisation agricole pour des denrées “exotiques”. Ces denrées sont amenées ensuite à être transformées par une industrie ou non.
Pour favoriser ce développement colonial, Napoléon III met en place une politique audacieuse pour certains térritoires. Cette poltique est inspirée de la politique anglaise en Australie. Avec la fin de l’esclavage en 1848, on constate une baisse de production dans les vielles colonies en raison de la perte de cette main d’oeuvre. Alors pour pallier à cette difficulté, deux phénomènes vont apparaitre le premier c’est l’emploi d’une main d'oeuvre peu chère souvent d'origine asiatique (Inde, Chine, Cochinchine, …); le second c’est le transfert de population de la métropole vers les colonies. Nous allons nous intéresser davantage au deuxième phénomène.
Durant le Second Empire, une partie de la population est “transférée” vers ces territoires coloniaux afin d’y travailler. Un apport de mains d'œuvre à faible coût qui s’inscrit parfaitement dans la vision du travail de l’empereur: «Le premier intérêt d’un pays ne consiste pas dans le bon marché des objets manufacturés, mais dans l'alimentation du travail. Créer le plus d’activité possible, employer tous les bras oisifs, tel doit être le premier soin du gouvernement», Louis Napoléon Bonaparte 1842. On va retrouver comme déportés en Nouvelle Calédonie beaucoup de prisonniers qui vont peupler et participer au développement de l’île. La Nouvelle Calédonie est transformée en bagne le 3 septembre 1863 pour permettre le bon développement de l’île mais aussi pour soulager le bagne de Guyane qui rencontre des difficultés sanitaires à cause d’une surpopulation.
Selon Sarah Mohammed-Gaillard, nous avond deux types de condamnés dans le bagne de Nouvelle Calédonie: les transportés au nombre de 22 000. Il s’agit de prisonniers de biens communs condamnés à moins de 8 ans de travaux forcés qui sont obligés de vivre toute leur vie sur l’île. La deuxième catégorie est celle des “déportés”, qui sont des opposants politiques. Idéologiquement, le bagne permet par le travail la rédemption des prisonniers. Ils sont amenés à construire des structures de communications, effectuer des travaux agricoles. Certains bagnards peuvent être utilisés au sein de propriétés privées agricoles, des exploitations privées afin de contribuer à la production alimentaire et occuper un poste “d’ouvrier agricole”. Ainsi, ce travail carcéral permet un enrichissement de la France avec une sanction pour les prisonniers et le développement structurel des territoires. Jean Sagne parle d’une insertion “saint-simonienne”.
Les Antilles quant à elles vont accueillir des travailleurs immigrés mais aussi certains déportés. Christian Schnakenbourg évoque dans son article que de 1849 à 1889, 43 000 travailleurs libres indiens arrivent en Guadeloupe pour travailler. Mais il évoque aussi le fait que depuis 1866, certains indochinois jugés rebelles sont déportés à Toulon puis aux Antilles.
Le travail est une valeur centrale dans l'idée de développment des colonies. Dans une lettre à destination de Rouher, il est fait mention de privilèges accordés aux "européens (non Français) d’Algérie qui produisent". Ils peuvent obtenir la nationalité française s’ils ont vécu pendant 5 ans en Algérie et exercés une industrie.
La terre occupe une place importante dans l'économie coloniale. Un arrêté émis le 22 février 1868 restreint le droit de propiété aux "indigènes" de Nouvelle Calédonie. Ce qui permet aux colons de pouvoir bénéficier de propriétés privées.
En revanche on peut noter que cet arrêté restreint effectivement les terres des Kanaks, mais leur reconnait des terres collectives. Nous pouvons voir ça comme un moyen de créer une sorte de résèrve pour ces populations locales. L'empereur leur reconnait donc des terres, elles sont restreintes mais bien existantes.
Pour finir, ce développement colonial a aussi lieu dans les protectorats dont à Tahiti. On peut citer en exemple la plantation d'Atimaono qui produit du sucre, du café, elle reçoit des subventions de la caisse agricole. On pourrait aussi citer la Tahitian Cotton and Coffee plantation company.
La place de la colonisation dans la géopolitique Impériale
Le Liban et la Cochinchine incarnent la protection impériale des catholiques du monde
La colonisation s'inscrit aussi dans un projet géopolitique, plus particulièrement celui de la défense des catholiques du monde. Pour cela on peut s’intéresser aux actions au Liban et en Cochinchine. Le prétexte qui sert d’intervention immédiate en Cochinchine est la protection de la liberté de culte pour les chrétiens. La France de Napoléon III se veut protectrice des populations chrétiennes, notamment celles de l'Empire Ottoman dont on va parler après.
Pour en revenir à la Cochinchine, c’est le refus d’Annam de commercer qui est le fond de l’expédition, mais aussi le refus d’accorder la liberté de culte aux chrétiens. Le traité de 12 ans avec le Siam par exemple accorde la liberté de religion aux habitants chrétiens.
Durant les opérations militaires en Extrême-Orient, la France discute avec le souverain d’Annam afin de cesser les conflits et de donner la liberté de religion aux chrétiens. Protéger les chrétiens peut être un choix intéressant, on pourrait penser qu’il s’agit de tisser un lien entre chrétiens et la France afin de favoriser le commerce ou bien d’avoir des soutiens locaux. En Cochinchine certains chrétiens servent d’interprètes entre les français et les populations.
De plus, nous pouvons parler du lien entre la pré-colonisation du Liban et la volonté pour l'empereur de protéger les chrétiens sur place. Depuis le règne de François Ier, la France est considérée protectrice des chrétiens de l’Empire Ottoman. C’est dans un projet officiellement de défense des chrétiens de l’Empire Ottoman que les français débarquent dans cette région littorale afin de rétablir l’ordre. En 1856, un édit proclame l’égalité entre tous les sujets de l’Empire, chrétiens et musulmans. Des tensions existent dans la région libanaise entre deux communautés religieuses, les Druses (musulmans) et les Maronites (chrétiens). En 1860, des massacres sont perpétrés entre les deux communautés. On eut penser au massacre de Deir-el-Kamar qui est particulièrement violent. Le pouvoir ottoman n’intervient pas et protège officieusement les communautés Druses. Des répressions contre le schrétines ont aussi lieu en Syrie. Le 3 août 1860 à Paris est alors organisée une conférence entre ambassadeurs des grandes puissances. On décide d'envoyer un corps expéditionnaire français qui agit en tant que mandataire de la coalition. L’objectif de cette expédition est d’aider le sultan à pacifier la région libano-syrienne. La France est autorisée à intervenir mais sous conditions, elle est mandataire des autres puissances, une opération limitée à 6 mois et doit obéir aux 5 commissaires alliés (Autriche, France, Angleterre, Russie, Prusse). 6 000 hommes sont envoyés. L'opération est un succès bien que les armées ottomanes n’ont pas été très enclin à aider le corps expéditionnaire français. Le Liban est divisé en 6 régions, avec 1 conseil par région, un conseil dont les membres sont élus par les populations. Ces conseils ont un droit de police et judiciaire. L’ensemble est dirigé par un gouverneur vassal du sultan, choisi par lui et en poste durant 3 années.
En 1861, les troupes françaises quittent la région.
Obock le potentiel inexploité, exemple de l’équilibrage face aux anglais ?
La colonisation s’inscrit dans un projet géopolitique. Obock est un bon exemple de ce projet.
Obock est un territoire du Moyen Orient situé dans l’actuel Djibouti au détroit de Bab el Mandeb. Ce petit territoire est acheté le 11 mars 1862 par le Second Empire. La France possède donc un territoire restreint doté d’un port. Ce territoire portuaire possède intrinsèquement un véritable potentiel du fait de sa position géographique, il est proche du Canal de Suez. Bien que topographiquement Obock est de caractéristique désertique, il possède une rade commerciale qui fait de ce dernier un espace au grand potentiel.
Malgré tout, le territoire est inoccupé et dépourvu de toute politique coloniale de développement. Henri Brunschwig rapporte dans son article que de 1862 à 1881, aucun résident français ne s'installe à Obock. Seuls des navires de guerre français affectés à la zone de l’Océan Indien font escale quelques jours dans la rade. On retrouve donc une utilisation militaire de ce territoire ou plutôt de son espace maritime. Certaines hypothèses introduisent l’idée que Obock est acheté afin d’atténuer l’influence anglaise dans cette région du monde au nombre du principe d’équilibre des puissances. Une politique de point pivot pour limiter l’influence de certaines puissances comme l'Angleterre. L’inexploitation de ce territoire pourrait aussi découler d’une volonté de ne pas brusquer l’Angleterre notamment dans un contexte de guerre d’Italie.
Ce morceau territorial ne suscite pas l’intérêt des français, donc ne favorise pas les investissements sur place. Hubert Deschamps qui écrit à propos de la politique coloniale de l’Empereur notamment celle en Extrême Orient: «Le Second Empire reflète l’esprit de Napoléon III, rêveur ondoyant et influençable, qui aime les idées généreuses, mais s’en fatigue vite et n’en surveille pas l’exécution. C’est l’ère des brusques coups de barre, parfois incohérents, et aussi du large champ laissé aux initiatives locales». Il est possible de dire que Napoléon III encourage le colonialisme pour un but économique, pour un objectif de représentation mondiale de la France, pour rééquilibrer la puissance anglaise. C’est principalement les membres de son gouvernement qui poussent à un colonialisme, Obock est acheté par le ministre des affaires étrangères.
La stratégie des points d’appuies
Après avoir évoqué la gestion coloniale et les motivations économiques de la colonisation, on va aborder la volonté pour l'empereur d’établir des points pivots ou d'appui. Napoléon III comme évoqué précédemment encourage le colonialisme mais dans un but économique mais aussi diplomatique. Nous avons parlé des interventions pour protéger les chrétiens, ainsi que de la politique mondiale de l'empereur dans un équilibrage des puissances franco-anglaises.
Afin d’assurer cet équilibrage mais aussi faire de la France une puissance mondiale, l’empereur développe la stratégie des territoires d'appuis. Le colonialisme est voulu par les officiers sur place (exemple de la Cochinchine) et certains membres du gouvernement. Tandis que Napoléon III souhaite davantage avoir recours à des protectorats. Ces derniers permettent un enrichissement commercial et économique, et une présence militaire française dans une partie du monde. La colonie de la Cochinchine par exemple est une colonie “accidentelle si on veut”. Le projet initial est de trouver un point d’appui proche du marché chinois à l’image des Anglais. Ainsi, on essaye de trouver des accords de protectorats avec l'Empire Annam, le Cambodge et le Siam, et pour diverses raisons énumérées précédemment c’est suite à une expédition militaire que la colonie de la Cochinchine est créée.
Conclusion
La poltique coloniale durant le Second Empire est axée sur des ambitions économiques et géopoltiques. On a donc vu ici l'administration complexe du système colonial avec différents statuts entre colonies et protectorats.
Mais aussi les différentes conquêtes coloniales qui ont eut lieu au cours du règne de Napoléon III (1852-1870), ces dernières permettent de réaliser l'ambition de "l'empire international". Une ambition qui est prônée par l'empereur. Un empire qui répond donc à des objectifs économiques et géopoltiques précis. Les conquêtes coloniales restent limitées sous le Second Empire, c'est à partir de 1870-1871 et l'avènement de la Troisième République, que l'empire connait une réelle expension avec des ambitions toutes autres.
Gabriel Lalardie, juillet 2023
Bibliographie:
Sites internet:
- “Obock” [en ligne], Wikipedia, consulté le 24/02/23, disponible sur: https://fr.wikipedia.org/wiki/Obock
Ouvrages:
- CHOISEL Francis, La deuxième République et le Second Empire au jour le jour; Paris, CNRS éditions. 2015.
- CHOISEL Francis, Napoléon 3: pensées politiques, SPM. 2021
- DARGENT Raphaël, Napoléon III: L’Empereur du Peuple, Grancher éditions, 2009.
- DE LA GORCE Pierre, Histoire du Second Empire, Plon-Nourrit, 1905.
- LAVISSE Ernest, Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu'à la paix de 1919. T. 6, La révolution de 1848 et le second empire (1848-1858), Librairie Hachette, 1922.
- MOHAMMED-GAILLARD Sarah, Histoire de l’Océanie; Armand Colin, 2015.
- JOYAUX François, Nouvelle Histoire de l’Indochine Française, Perrin, 2022.
- SAGNE Jean, Napoléon III, le parcours d’un Saint Simonien, Éditions Singulières, 2007.
Articles universitaires:
- BOLTZ Blandine, “La conquête de Tourane, 1858-1860, L’expérience d'une défaite coloniale au Vietnam”, in: Bulletin de l’institut Pierre Renouvin, N°49, pp 17 à 27.
- BASTIDE Louis. “L'expédition de Tahiti”. In: Revue d'histoire des colonies, tome 21, n°93, Mai-juin 1933. pp. 157-180.
- BRUNSCHWIG Henri. “Une colonie inutile: Obock (1862-1888)”. In: Cahiers d'études africaines, vol. 8, n°29, 1968. pp. 32-47.
- COUSTEIX P. “Les financiers sous le Second Empire”. In: 1848. Revue des révolutions contemporaines, Tome 43, Numéro 186, juillet 1950. pp. 105-135.
- MASSON André. “L'opinion française et les problèmes coloniaux à la fin du Second Empire”. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 49, n°176-177, troisième et quatrième trimestres 1962. pp. 366-437.
- NEWBURY Colin. “L'administration de l'Océanie française de 1849 à 1866”. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 46, n°163-165, deuxième, troisième et quatrième trimestres 1959. pp. 97-154.
- PLESSIS Alain. “La Bourse et la société française du Second Empire”. In: Romantisme, 1983, n°40. L'argent. pp. 41-52.
- SCHNAKENBOURG Christian. “Les déportés Indochinois en Guadeloupe sous le Second Empire”. In: Outre-mers, tome 88, n°330-331, 1er semestre 2001. Outre-mers économiques : de l'Histoire à l'actualité du XXIe siècle. pp. 205-208.
Article grand public:
- ANCEAU Eric, “L’invention de la France Moderne”. in: Napoléon 3 imposteur ou visionnaire ?. Le Figaro Histoire, Numéro 66, Février-Mars 2023 Bimestriel.
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