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1945-1954 : L’impossible réforme communale en Algérie
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1945-1954 : L’impossible réforme communale en Algérie

La question de la réforme communale en Algérie se pose dès la fin du XIXe siècle. Elle trouve son origine dans le choix effectué en 1874 par l’administration civile, confrontée à un afflux de territoires dépendant auparavant de l’administration militaire, d’élaborer dans l’urgence une solution provisoire susceptible de répondre à la nouvelle situation qu’elle doit gérer. L’échec des circonscriptions communales, conçues comme un ensemble territorial cohérent incluant toutes les formes d’administrations locales existantes (communes de plein exercice, centres de colonisation, douars et tribus), mises en place en 1871 et abandonnées dès 1873, l’amène à adapter le concept de la commune mixte précédemment créée en territoires militaires pour parer au plus pressé. Mais dans l’esprit de ses initiateurs, il s’agit là d’une solution purement transitoire en attendant de trouver une réponse définitive à la gestion de ces populations nouvelles. La réussite de la commune mixte, qui offre une réponse particulièrement adaptée à la situation coloniale existante (faible encadrement et bas coûts de fonctionnement), va faire perdre de vue son caractère provisoire et lui donner un caractère pérenne, notamment avec la création d’un véritable corps d’administrateurs en 1897.

La situation communale en 1945

Les territoires du Sud étant toujours sous administration militaire, deux types de communes coexistent dans l’Algérie du Tell (ou l’Algérie utile) : la commune de plein exercice et la commune mixte.

La commune de plein exercice

Créée en 1847, c’est une commune de type métropolitain administrée par l’élément européen. Elle a pour origine d’une part les villes préexistantes à la colonisation et directement administrées par du personnel civil, d’autre part les centres de colonisation ayant atteint les capacités requises à leur érection (population européenne, ressources financières, équipements, etc.).

La commune mixte

Créée en 1868, elle a alors pour objectif de favoriser, en territoires militaires, l’émergence de communes de plein exercice par agrégation de populations européenne (centres de colonisation) et autochtones (douars ou tribus) d’où leur caractère « mixte ». C’est ainsi que, sur les 15 communes mixtes créées en 1868, 4 seront érigées en communes de plein exercice en 1873, auxquelles il conviendrait d’en ajouter deux autres érigées plus tardivement en 1878 et 1880. Pressée par l’abandon de l’expérience des circonscriptions cantonales, l’administration civile va en reprendre en 1874 le principe créateur en abandonnant l’objectif de leur promotion en communes de plein exercice. Ces nouvelles communes mixtes, considérées comme provisoires, sont d’une taille sans commune mesure avec les premières (10 à 15 fois plus importantes).

La répartition entre communes de plein exercices et communes mixtes sur le territoire algérien est profondément inégale : 80% des communes existantes sont de plein exercice, mais celles-ci ne couvrent que 14% de cette « Algérie utile ». Et les communes mixtes qui couvrent l’essentiel du territoire (86%) comprennent également la majorité de la population (55% dont 1% d’Européens).

Les centres municipaux (1945-1946)

Une première tentative d’évolution de la commune mixte a eu lieu, à titre expérimental, en 1937 en créant une nouvelle institution locale : le centre municipal. Celui-ci avait pour but avéré « d’exercer les indigènes à la pratique de la vie municipale. » Mais cette expérience tourna court et en 1941 les quatre centres expérimentaux créés furent supprimés.

 En 1945 il est décidé de réactiver ces centres, mais en leur conférant un vrai statut du fait de leur création par décret. On corrige également les dysfonctionnements constatés précédemment en leur attribuant un territoire plus restreint (généralement correspondant à un village) et en transférant leur administration de tutelle de la sous-préfecture à la commune mixte dans un souci de rapprochement. 163 centres municipaux sont ainsi créés entre 1945 et 1946, notamment en Kabylie dont la culture d’autonomie des villages paraît favorable à leur réussite (seuls 16 seront créés en territoire arabe). Le statut organique de l’Algérie de 1947 met fin à leur multiplication, ceux déjà créés continuant cependant d’exister.

En 1950 leur bilan est estimé de façon fort mitigée. Si on leur reconnaît un fonctionnement dans l’ensemble satisfaisant, ils souffrent cependant d’un certain nombre de handicaps. Les plus importants tiennent à leur exigüité et à des ressources insuffisantes, leur maintien dans la commune mixte qui perpétue une situation antérieure, et l’exclusion des citoyens (européens et français-musulmans relevant du droit commun) de leur gestion.

Le statut organique de l’Algérie (1947)

La loi du 29 septembre 1947 sur le statut organique de l’Algérie dans son article 53 énonce : « Les collectivités locales algériennes sont : les communes et les départements ; en conséquence les communes mixtes sont supprimées. L’application progressive de cette disposition fera l’objet de décisions de l’Assemblée algérienne… »

L’ambigüité de sa rédaction va laisser la porte ouverte à toutes les interprétations qui vont alimenter les débats qui vont suivre. Mais il est frappant de constater les réticences qu’il provoque, particulièrement illustrées par les propos d’Eugène Battistini, délégué à l’Assemblée algérienne, qui a commencé sa carrière administrative comme administrateur de commune mixte avant de la finir préfet d’Oran : « On a voulu faire, au moins dans la forme, certaines concessions… Refusant sagement la suppression des communes mixtes, on a péniblement élaboré ce fameux article 53 » ou encore « La suppression des communes mixtes incluse dans l’article 53 [apparaît] comme une décision virtuelle, implicite et symbolique du statut. »

Les projets de communes rurales (1946-1954)

Dès 1946, un projet non abouti propose de transformer les centres municipaux en communes rurales, leur assurant ainsi le bénéfice de la loi municipale de 1884. Mais c’est le statut organique de l’Algérie qui va ouvrir la voie à nombre de réflexions et propositions.

Le 1er février 1949 un projet est présenté à l’Assemblée algérienne par l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) fondé sur le douar : « Si la commune mixte est une institution administrative artificielle, le douar, par contre, est une unité ethnique et sociale parfaitement établie qui peut servir de base à la réorganisation administrative de l’Algérie. » La commune rurale est ainsi formée d’un ou plusieurs douars, sa tutelle est confiée au sous-préfet, les conseillers municipaux sont élus à la proportionnelle dans deux collèges électoraux, chaque collège devant avoir au moins un élu au conseil municipal.

Le 5 février 1950 un rapport de l’administration sur la création de communes rurales est présenté à l’Assemblée algérienne. Il repose sur le projet de 1946 et s’il propose d’appliquer la loi municipale de 1884 à ces nouvelles communes, les restrictions qu’il y apporte (création par arrêté du gouverneur général, tutelle du sous-préfet qui rend exécutoire les délibérations, arrêtés et décisions et qui peut être déléguée à un administrateur) la vide d’une bonne partie de sa substance. De plus il ne fait aucune allusion au mode d’élection des conseillers municipaux, question pourtant centrale : quelle place à réserver aux citoyens indépendamment de leur importance numérique ? L’Assemblée vote tout de même un amendement stipulant que « Le conseil municipal de la commune rurale comprendra un nombre égal d’élus de chacun des deux collèges. »

 Enfin les 27 et 28 décembre 1950 l’Assemblée algérienne débat longuement et passionnément sur une demande d’avis indispensable à joindre au dossier du projet de loi qui devra être soumis au parlement. Pour l’administration, la création de communes de plein exercice est pratiquement impossible du fait que les Algériens ne sont pas encore mûrs et sont incapables de pouvoir gérer convenablement les affaires de leur commune. D’où un projet qui, sous couvert de respecter la loi municipale du 5 avril 1884, apporte tellement de modifications techniques qu’on aboutit à un maintien du statu quo. Projets, contre-projets et amendements divers opposent vivement conservateurs et progressistes lors de débats houleux, sans que de réelles avancées ne soient enregistrées. Ces séances ne sont suivies d’aucune action, et ce n’est que le 20 novembre 1954 qu’un projet de loi tendant à substituer à la commune mixte une organisation municipale évolutive est adressé au gouvernemen [1]. N’ayant pas pu retrouver le texte de cette proposition, il est impossible de déterminer ce qui a pu être retenu des projets et discutions précédentes.

Une réforme tout de même réalisée (1956-1959)

 La guerre d’Algérie va considérablement modifier l’attitude des autorités sur cette question. Sous l’impulsion de Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, un décret du 28 juin 1956 « portant transformation des communes mixtes d’Algérie » institue une réforme communales rendant applicable intégralement le régime municipal du 5 avril 1884 à l’Algérie. Cette réforme est menée tambour battant en quatre mois, d’octobre 1956 à janvier 1957, aboutissant à la création de 1092 nouvelles communes. Si celles-ci sont dans un premier temps administrées directement par des délégations spéciales nommées par l’administration, elles retrouvent un mode de fonctionnement normal avec les élections municipales d’avril 1959.

 

André Brochier
Conservateur en chef du patrimoine (ER)

FM-GACMT 2016 (Texte extrait des actes de la Journée d'études du 8 novembre 2016)

 

[1] Collot, Claude, Les institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962), Editions du CNRS, Paris, et Office des publications universitaires, Alger, 1987, p. 133.

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