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HARKIS : Les anciens harkis, des rapatriés comme les autres ?
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HARKIS : Les anciens harkis, des rapatriés comme les autres ?

« [Le sigle] FMR s’imposa, ou fut imposé. Belles initiales, il est vrai, pour une population dont certains auraient aimé que les problèmes soient ‘éphémères’ » (Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus Harkis…, p. 42) Entre mars et juillet 1962, du cessez-le-feu en Algérie à l’Indépendance, près d’un million de personnes, « Européens » et « Musulmans », gagnèrent la France. Très vite dépassée par l’ampleur et le caractère tout à fait nouveau de cette migration, l’administration française imposa rapidement des mesures de prise en charge des populations.

Accueillir en quelques mois plusieurs centaines de milliers de Français d’Algérie en métropole ne fut pas chose facile et la déchirure du départ se mêla rapidement à la confusion et au désordre du rapatriement. Mais qu’allait-il en être pour les dizaines de milliers de « musulmans d’Algérie », selon la terminologie de l’époque, qui firent aussi le choix de la France et dont l’identité juridique échappait au cadre initialement prévu par l’administration ?

La grande masse des musulmans d’Algérie pouvait rester française, mais à condition de souscrire en France, avant le 22 mars 1967, à une déclaration de reconnaissance de la nationalité régulièrement enregistrée par le ministre chargé des naturalisations (en vertu de l’ordonnance du 21 juillet 1962)[1]. Parmi eux, les ex-harkis et leur famille, que l’allégeance à la nation française durant la guerre d’Algérie ne préservât pas d’un accueil différencié. Pour Mohand Hamoumou[2] en effet, « ce besoin de séparer les ‘harkis’ des ‘pieds noirs’ permettait un traitement différencié, voire une ‘discrimination légale’, pour certaines aides ou indemnisations ». Une situation qui, pour l’historien, « trahit aussi la complexité de la situation coloniale dans laquelle certains étaient plus Français que d’autres »…

L’évolution du statut juridique des musulmans d’Algérie (1830-1962)

On ne peut donc comprendre la contradiction apparente entre l’engagement harki et l’accueil ambigu qui leur fut réservé en métropole, sans un retour en arrière dans le temps. Dans l’Algérie coloniale, le statut des musulmans était en effet lié à une conception « ethnico-politique » (Patrick Weil[3]) de la citoyenneté et de la nationalité. Dès lors, un régime d’exception complexe était apparu.

De 1830 à 1834, les « indigènes » d’Algérie n’étaient pas Français. Par une ordonnance royale du 24 février 1834, l’Algérie était déclarée « terre française », mais les musulmans demeuraient des « sujets », ne jouissant ni de droits civils, ni de droits politiques : « placés sous la souveraineté directe et immédiate de la France, ils [étaient] dans l’impossibilité de pouvoir en aucun cas revendiquer le bénéfice ou l’appui d’une autre nationalité »[4]. Jusqu’au sénatus-consulte du 14 juillet 1865, les musulmans n’avaient donc pas la « pleine nationalité » française et aucune procédure ne leur permettait de l’obtenir. Après cette date, près de 3 millions de musulmans justifiant de trois années de résidence en Algérie, pouvaient demander à « jouir des droits de citoyens français ». Mais la démarche – individuelle (sauf pour les Juifs d’Algérie, avec le décret Crémieux en 1870) – impliquait aussi le renoncement au droit coutumier berbère ou coranique. Ce qui, selon Mohand Hamoumou, « équivalait à une apostasie » et à une « exclusion sociale »[5], sans compter un parcours administratif semé d’embûches : « le dossier devait être constitué de huit pièces différentes – dont un certificat de bonne vie et de bonnes mœurs ; l’indigène devait se présenter devant le maire (décret du 21 avril 1866) ou l’autorité administrative […] ; une enquête administrative était effectuée sur la moralité, les antécédents et surtout la situation familiale du demandeur ; enfin, le dossier était transmis avec l’avis du préfet et celui du gouverneur au ministère de la Justice, puis au Conseil d’Etat, avant qu’un décret ne soit signé par le président de la République »[6]. Ainsi, en 50 ans (de 1865 à 1915), seuls 2396 musulmans d’Algérie en bénéficièrent. La majorité était des militaires, des fonctionnaires ou des musulmans convertis au catholicisme. Pourtant, et c’était là le moindre des paradoxes, les musulmans pouvaient, depuis 1866, être admis à servir dans les armées de terre ou de mer ou à certains emplois civils[7]. Sans espérer un jour devenir Françaises, des troupes autochtones intégrèrent désormais l’armée, ouvrant la voie dans le même temps à l’emploi de forces indigènes supplétives.

En dépit de la loi de 1919 et de l’ordonnance du 7 mars 1944, qui apportèrent une amélioration notable mais insuffisante des droits civils et politiques des musulmans, leur évolution statutaire se révélait encore très limitée. Si à partir du statut de 1947, l’Etat prétendait garantir  l’égalité entre les différentes catégories de population de l’Algérie française, l’administration continua dès 1958 à distinguer les « Français de souche européenne » (FSE) des « Français de souche nord africaine » (FSNA). Une évolution lente, qui expliqua la situation des harkis en 1962.

Les musulmans d’Algérie et les anciens harkis à l’heure du rapatriement

La division sémantique entre Français d’Algérie et musulmans d’Algérie, qui recoupait de jure une réalité politique, se prolongea en une différence de traitement lorsque la question du rapatriement se posa. Selon François-Xavier Hautreux,  « en raison de craintes liées à leur capacité d’intégration sociale, culturelle et professionnelle [en métropole], une priorité guid[a] les travaux du gouvernement : celle de limiter le nombre de ‘FSNA’ à transférer »[8]. Et en dépit d’une procédure de rapatriement ouverte théoriquement aux musulmans d’Algérie au printemps 1962, des consignes s’ensuivirent afin de « privilégier une solution algérienne à ce problème »[9]. Avec une conséquence directe : simultanément au circuit officiel qui offrit la possibilité à 26 000 Algériens de rejoindre la métropole, un flux parallèle se développa, facilité par les anciens officiers de harkas, pour permettre à 25 000 à 35 000 personnes supplémentaires de gagner l’autre rive de la Méditerranée.

A l’indépendance, par effet de rattrapage, l’administration française multiplia donc les libellés ambigus (RFM, FCI, FRONA[10]…) afin de qualifier ces populations dont le statut échappait au cadre habituel de la citoyenneté française, utilisant le plus fréquemment le sigle « FMR » (Français musulmans rapatriés) pour parler des anciens harkis. Pour l’historien Mohand Hamoumou, « Ces appellations sembl[ai]ent vouloir rappeler que, quoi qu’ils fassent, ces Français rest[ai]ent… des Arabes, avec ce que ce terme suggère, dans l’inconscient français, d’étranger, d’antipodes culturelles »[11]. Une réalité résumée plus clairement en Conseil des ministres par le général de Gaulle lui-même le 25 juillet 1962 : « Le terme de rapatriés ne s’applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! »[12]. Par une ordonnance édictée quelques jours plus tôt[13], de Gaulle pérennisait dans le même temps la différenciation héritée de la situation coloniale entre citoyens de « droit local » (Français de Souche Nord Africaine) et citoyens de « droit commun » (Français de souche européenne). Ce faisant, il imposait à la grande majorité des Algériens l’obligation d’obtenir devant un juge une nationalité française alors que cette dernière aurait dû naturellement découler des garanties données jusque-là aux « musulmans fidèles ».

A leur arrivée en France, les anciens supplétifs durent ainsi souscrire à une déclaration recognitive de nationalité pour être reconnus citoyens français. Ce qui signifiait a posteriori qu’en dépit de leur engagement passé dans l’armée, ils n’étaient toujours pas reconnus comme Français par l’Etat qu’ils avaient servis. Ce fut chose faite une fois la nationalité obtenue, qui, en vertu de la loi Boulin de décembre 1961, ouvrit aux ex-harkis comme aux autres Français rapatriés d’Algérie, les aides et les indemnisations prévues. Après 1962, le double droit du sol et du sang applicable en métropole, permit à tous les enfants d’ex-harkis nés en France d’un parent né en Algérie d’être Français dès la naissance, sans distinction d’origine.

Plus que leur engagement militaire, c’est donc l’Indépendance qui offrit aux anciens harkis et aux indigènes d’Algérie, une nationalité et une citoyenneté française, restée jusque-là hors d’atteinte malgré 130 ans de colonisation.

Mickaël GAMRASNI (membre du CS de la FM-GACMT)

Mai 2014

Notes : 

[1] Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus harkis, Fayard, 1993, p. 49.

[2] Mohand Hamoumou, « L’histoire des harkis et des Français musulmans : la fin d’un tabou ? », in M. HARBI et B. STORA, La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, p. 318-319.

[3] Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », in HEC (EUI, Working paper), n° 2003/3, p. 7.

[4] Cité par Patrick Weil, ibid.

[5] Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus Harkis…, Fayard, 1993, p. 321.

[6] Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », in HEC (EUI, Working paper), n° 2003/3, p. 8. L’auteur précise que la procédure est toutefois facilitée à partir de 1870.

[7] André Weiss, Traité théorique et pratique de Droit international privé, 1907, pp. 442-443. Cité par. P. Weil, op. cit.

[8] François-Xavier Hautreux, « De Gaulle face au problème des harkis », in Maurice Vaïsse, De Gaulle et l’Algérie, 1943-1969, Armand Colin, 2012, p. 268.

[9] Ibid., p. 268. L’auteur relève que le 18 avril, « Louis Joxe rappelle à Christian Fouchet que les départs ne devront être autorisés ‘qu’après avoir épuisé toutes les possibilités de reclassement en Algérie-même’ » (p. 269-270).

[10] RFM : rapatriés Français musulmans ; FRCI : Français rapatriés de confession islamique ; FRONA : Français rapatrié d’origine nord-africaine. Voir Elise Langelier, La situation juridique des harkis (1962-2007), Poitiers, 2009, LGDJ.

[11] Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus harkis, Fayard, 1993, p. 49.

[12] Cité par François-Xavier Hautreux, « De Gaulle face au problème des harkis », in Maurice Vaïsse, De Gaulle et l’Algérie, 1943-1969, Armand Colin, 2012, p. 272.

[13] JORF, « Ordonnance n°68-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française ». Cité par François-Xavier Hautreux, op. cit., p. 272-273.

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