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ALGERIE FRANÇAISE : Nationalité et citoyenneté dans les départements français d’Algérie : Utopies et réalités
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ALGERIE FRANÇAISE : Nationalité et citoyenneté dans les départements français d’Algérie : Utopies et réalités

Sur cette notion trois questions majeures : Comment se pose le problème de la citoyenneté aux premiers temps de la conquête ? Comment le problème posé fut finalement mal résolu et pourquoi ? Quelles en furent les conséquences à l’époque, mais aussi quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?

Du temps des Turcs, les musulmans de la Régence d’Alger sont apatrides

Leur identité est fondée d’une part sur leur appartenance à la communauté universelle des croyants, l’Oumma, et d’autre part sur leurs appartenances tribales. Quant aux indigènes israélites, qui vivaient là bien avant la première conquête arabe, ils sont également apatrides, et de plus dans une position de « dhimmitude », par rapport à l’ensemble des populations musulmanes. Tous les indigènes musulmans et israélites qui habitent ce territoire, vont devenir français le 24 juillet 1834, date à laquelle l’ancienne « régence d'Alger » est déclarée « possession française » par Louis-Philippe.

Quant à l’appellation d’« Algérie » elle apparait régulièrement dans le bulletin des lois dès 1838, et devient officielle le 14 octobre 1839, date de la lettre du général Schneider, ministre des armées, au Maréchal Valée qui recommande d’utiliser cette appellation dans tous les actes et courriers officiels.

Mais Nationalité ne fait pas citoyenneté ! Ces nouveaux français restent soumis en effet à leurs lois respectives, loi coranique pour les musulmans, loi mosaïque pour les Israélites. A partir de la seconde République, l’Algérie se conçoit de plus en plus comme un prolongement de la France et le législateur veut offrir progressivement à tous les français d’Algérie un accès aux droits civils et politiques identique à celui des français de France. La Constitution de novembre 1848 reconnait aux Français d'Algérie un droit de représentation à l'Assemblée nationale. Son article 109 précise que « Le territoire de l'Algérie sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une loi spéciale le place sous le régime de la présente Constitution. »

Le 9 décembre1848, l’Algérie est partagée en trois provinces

Cela comprend : trois territoires militaires et trois territoires civils érigés en départements : Oran, Alger et Constantine. Le Président de la République, devenu Empereur, fera deux voyages en Algérie avant de promulguer le sénatus-consulte, d’inspiration Saint-Simonienne, du 14 juillet 1865. Ce texte prévoit, dans une totale symétrie, que les indigènes musulmans ainsi que les indigènes israélites, peuvent, sur leur demande, être admis à jouir des droits civils et politiques des citoyens français, à la double condition :
- D’en faire la demande individuellement
- De déclarer officiellement qu’ils abandonnent leur statut personnel

Le sénatus-consulte ne rencontre pas un succès foudroyant

Durant les dernières années de l’Empire on estime que les demandes d’accession à la citoyenneté française sont en moyenne de l’ordre :

- De 35 par an du côté musulman, pour une population de plus de 2 millions de personnes ;
- De 30 par an pour un total d’environ 35 000 indigènes israélites.

Les décrets Crémieux

La Troisième république naissante hérite du dossier et très rapidement sont pris les décrets Crémieux, le 24 octobre 1870. Ils n’offrent plus la belle symétrie que l’on trouve dans le sénatus-consulte. Essayons d’en comprendre les raisons.

D’abord, le décret N°136, qui propose aux indigènes israélites une solution collective d’accès à la citoyenneté française. Pourquoi ? Ces populations aspirent à l’émancipation, et considèrent que la France les a tirés du « joug tyrannique » des Turcs, et de leur condition de dhimmis. Ils se sont battus pour obtenir une solution collective :

- Dès 1864, ils envoient pétitions sur pétitions au sénat impérial
- Chaque année les trois conseils généraux d’Algérie les appuient, considérant que les preuves de patriotisme ne manquent pas ni les services rendus par cette communauté pour que soit répondu à leur demande.
- Ils sont soutenus enfin par les israélites de France, et par une grande partie de l’opinion publique de la métropole.

Ce décret Crémieux énonce, dans son article unique, d’une grande simplicité : « Les israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence leur statut réel et leur statut personnel… sont réglés par la loi française… ».

En revanche, et de manière non symétrique, cette fois-ci, le décret Crémieux N° 137 ne propose pas de disposition collective pour les indigènes musulmans. Il se borne à rappeler les modalités d’accession individuelle à la citoyenneté française. Ce traitement dissymétrique peut s’expliquer par le décalage entre utopies et réalités. Trois utopies, en fait, et une réalité incontournable !

La première utopie

Celle de croire que les principes républicains, réputés universels, peuvent susciter une adhésion rapide des masses musulmanes. Si pour les français de France, le code civil est considéré comme la véritable « Constitution des Français », selon l’expression du Doyen Jean Carbonnier. Imaginons un instant ce que peuvent signifier pour un musulman, fut-il français depuis 1834 :
- L’abandon de la polygamie,
- L’abandon du droit à la répudiation de la femme par son mari
- L’abandon du droit de contrainte matrimoniale du père sur sa fille, Djebr
- L’abandon du privilège successoral des mâles…Etc.

D’ailleurs, les Bureaux arabes, qui connaissent bien ces populations du bled dont ils sont très proches, ne croient pas à une assimilation massive de toutes les populations indigènes. De plus, n’oublions jamais les chiffres de population, le rapport de 1 à 10 en faveur des Français musulmans. On peut comprendre alors l’inquiétude, sur le plan politique, des quelques 250 000 européens installés difficilement sur des territoires souvent hostiles peuplés de plus de 2 millions et demi de musulmans !

La deuxième utopie

Celle de croire qu’un indigène musulman peut réaliser une démarche individuelle, quand on connait le poids du groupe tribal sur l’individu. Rappelons qu’en 1830, pas de nation, pas d’Etat, mais un grand nombre de tribus. On dénombre 950 tribus regroupant de 500 à 3 000 personnes chacune, et quelques villes que l’on compte sur les doigts d’une main. La tribu rassemble les descendants d’un même ancêtre et représente également une communauté de culte et un lieu d’arbitrage des conflits. Elle est placée sous l’autorité des anciens. C’est un cadre extrêmement contraignant pour l’individu, et celui qui ne respecte pas ses règles, en est chassé, sans espoir de retour.

Le recensement de 1861 nous indique que 2 400 000 Français musulmans vivent dans les tribus, contre seulement 360 000 dans les villes. Il y a tout de même quelques exceptions notables, et de grandes familles musulmanes demandent et obtiennent la citoyenneté française dans le cadre du sénatus-consulte de 1865. Nous pouvons citer à titre d’exemple les noms des familles Ben Gana, Sidi el Aribi, Ben Sedira, Saïah, et bien d’autres.

La troisième utopie

Celle de croire qu’un indigène musulman peut opter pour le code civil, sans être considéré aux yeux des siens comme un apostat. Il est alors rejeté immédiatement hors de sa communauté d’origine, voire condamné à mort, comme le Coran le prévoit dans la Sourate IV, au verset 91. L’Islam en effet, ne distingue pas ce qui relève du spirituel de ce qui concerne les règles de la vie quotidienne, ou de l’arbitrage des conflits. Il constitue un système de pensée « totalisant ». En outre la pression des confréries religieuses et des marabouts est extrêmement forte à cette époque. Elles sont le véritable moteur de la société musulmane. Chaque indigène musulman, ou presque, est affilié à une confrérie

La Hijra, une réalité incontournable :

La conquête entraine, jusqu’à la fin du 19e siècle, de nombreux cas d’exodes de français musulmans vers la Syrie et d’autres pays musulmans du moyen orient, mais aussi vers la Tunisie et le Maroc, au motif que des musulmans ne peuvent vivre sous l’autorité des chrétiens. C’est la HIJRA, l’exil volontaire vers des pays musulmans, reconnus « Terre d’islam ». Donc plutôt partir que d’accéder à la citoyenneté française. C’est pour cette raison que Bugeaud a obtenu, et cinquante ans plus tard le Gouverneur Jules CAMBON également, une Fatwa du Grand Mufti de La Mecque déclarant l’Algérie terre d’Islam. Ils espèrent ainsi stopper les départs, et ceux-ci diminuent.

 Ces trois utopies et cette réalité incontournable indiquent clairement, qu’il était peu probable qu’un jour la grande masse des français musulmans abandonne la charia pour le code civil, puisque, par définition, en « terre d’Islam » c’est la charia qui s’applique. On se trouve donc devant un échec grave de l’assimilation des indigènes musulmans dans la citoyenneté républicaine. Cela semblait une opération impossible…

Que fallait-il donc faire ? Des avis partagés…

Napoléon III, envisage d’abord une politique de « juxtaposition pacifique des communautés », puis un « Royaume arabe », idée vite abandonnée. Les Francs-maçons pensent, de leur côté, qu’il faut supprimer les écoles coraniques et implanter massivement les écoles de la République sur tout le territoire, pour faire œuvre de civilisation ; c’est notre plus haute vocation, comme le pensent aussi Victor Hugo et plus tard Jules Ferry. La tradition raconte que les officiers francs-maçons du corps expéditionnaire auraient tenu une première réunion dès le 15 juin 1830, prenant dit-on « possession de la terre barbaresque au nom de la civilisation, de la tolérance et du progrès ». A chaque congrès maçonnique, à partir de 1905, la question de l'enseignement est à l'ordre du jour. Les francs-maçons demandent la création d'écoles laïques dans les douars, la suppression des medersas, la création et le développement des écoles primaires pour les garçons mais aussi pour les filles musulmanes. Ils proposent d’abolir la polygamie comme on l’a fait pour l’esclavage.

Reprenant partiellement ces idées, les gouvernements successifs croient par ailleurs possible de moderniser et de faire évoluer l’Islam en direction des principes de la République :

En assurant la formation des fonctionnaires musulmans, en particuliers des cadis et des imams au sein des médersas ;

En mettant en place, en 1905 une commission de codification du droit musulman dont les travaux aboutissent à la rédaction d’un « avant-projet de code de droit musulman algérien », le « Code Morand », publié en 1916, mais jamais promulgué.

Dans les années 1935-36, Ferhat Abbas fait encore partie d’une minorité d’ « Intellectuels évolués» qui réclament la citoyenneté française de manière automatique. Ceci lui sera vertement reproché par Messali Hadj. La majorité des musulmans est alors favorable à une mesure collective en leur faveur, mais à condition de ne pas toucher à leur statut personnel coranique. Parallèlement, dès 1931, le mouvement des Oulémas réformistes de Ben Bâdis prône, un retour à la vérité de l’Islam, en référence aux « vertueux ancêtres ». Il refuse la citoyenneté française comme contraire à l’Islam. Celui qui en fait la demande est un apostat !

Le mouvement crée et contrôle jusqu’à 130 médersas en 25 ans, où il apporte à la jeunesse musulmane un enseignement complet, un islam considéré comme « purifié de toutes les déformations qui l’avaient dénaturé », y compris de la tentative de codification du droit musulman. C’est dans ses médersas que seront formés la plupart des futurs dirigeants du FLN et de l’ALN.

Un rapport de police de 1935, dans le Constantinois, cite le cas d'un musulman ayant opté pour la citoyenneté française ; désirant enterrer son enfant au cimetière musulman, il en est empêché par une troupe de coreligionnaires ralliés aux Oulémas réformistes. Il faut l'intervention de la police pour célébrer les obsèques. Un peu plus tard, en octobre 1940, le régime de Vichy abroge le décret Crémieux N°136. La citoyenneté française est retirée immédiatement aux français de confession israélite. Que vaut alors, aux yeux des Français musulmans, une citoyenneté que l’on peut retirer arbitrairement, quelques décennies après l’avoir octroyée ?

La République accepte, en 1944, en 1946, en 1958 enfin, de donner à un nombre croissant de français musulmans, et finalement à tous « une citoyenneté dans le statut », tandis que les plus engagés des nationalistes la refusent et exigent l’indépendance. Cet échec du principe sacré de l’égalité de tous devant la loi, conquête de 1789, est inscrit dans la constitution française de 1946, d’abord, puis dans celle de 1958, dans les termes suivants :

 « Les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. »

Deux conclusions semblent devoir s’imposer

Faute d’avoir réussi à faire évoluer la société musulmane, en grande partie par méconnaissance profonde de ce qu’elle était de la part des gouvernements successifs de la lointaine métropole,

C’est à un échec des principes républicains que l’on assiste en Algérie, conduisant une communauté à se dresser contre l’autre, comme deux citoyennetés incompatibles.

En 1956, Jacques Soustelle résume la situation par ces mots : D’un côté on dit que « pour être un bon français, il faut cesser d’être musulman », de l’autre que « pour être un bon musulman il ne faut pas être ni devenir français ». « La convergence des aveuglements jouait contre l’évolution paisible et raisonnable de l’Algérie ».

Ceux qui en ont payé le prix, ce sont les français d’Algérie et les musulmans fidèles à la France, désignés comme boucs émissaires. « Confrontés depuis toujours à la négation de leur existence », pour reprendre la formulation d’Emmanuel Navarro, leur destin s’acheva dans l’exode, l’exil forcé, le bannissement.

La présentation de cette importante question amène ainsi à retenir que ce ne fut pas la France qui refusa de donner la nationalité française, contrairement aux affirmations contraires largement diffusées dans certains milieux idéologiques. Ces questions retrouvant aujourd'hui une troublante actualité, ne doit-on pas aussi retenir que c'est le principe d'universalité de la loi française qui est contesté ?

Va-t-on revenir dans notre pays au principe de la personnalité des lois, comme finalement ce fut le cas pendant 132 ans en Algérie ?

 

Jean-Pierre SIMON
Chercheur indépendant sur l’histoire de la France en Algérie, Membre de l’AMAROM, Membre du comité de rédaction de la revue Mémoire Vive, Administrateur du CDHA

FM-GACMT 2017 (Texte extrait des actes de la Journée d'études du 21 mars 2017)

 

ANNEXE 1 : EVOLUTION DES POPULATIONS DE L’ALGERIE ENTRE 1851 ET 1954

1851 :  Premier recensement fiable des populations musulmane et européenne

2 030 000 habitants musulmans soit 94 % de la population globale

 131 000 habitants européens soit   6 % de la population globale

96 % de la population musulmane vit en tribus en milieu rural

64 % de la population européenne vit en milieu urbain.

De 1866 à 1876 : 10 années de turbulences démographiques

Epidémies meurtrières,

Perturbations climatiques

Récoltes catastrophiques

Corps médical démuni de moyens pour lutter contre les épidémies,

Administration incapable de gérer les calamités agricoles et sanitaires

La population musulmane passe de 2 656 000 habitants à 2 479 000 habitants accusant une perte de 6,67 %, avec un effondrement sensible en 1872 à 2 134 000 habitants.

Durant cette même période, la population européenne progresse de 58,53 % grâce aux apports migratoires, mais ne représente que 13,88 % de la population globale.

1876 : La population musulmane prend un essor ascensionnel jusqu’en 1954

Malgré les sauterelles et les épidémies de Choléra de 1892, les périodes de sécheresses répétées au cours de la première moitié du 20e siècle ; on note un essor exponentiel de la population musulmane alors qu’il demeure linéaire chez la population européenne.

1936-1948 : Période de la Seconde Guerre mondiale

Entre les deux recensements de population de 1936 et 1948, on note que la population européenne

a perdu 2,54% de ses habitants alors que la population musulmane a gagné 20,31 % d’habitants.

1954 : Recensement de la population de l’Algérie

8 675 000 habitants musulmans soit 90 % de la population globale

984 000 habitants européens soit   10 % de la population globale

En un siècle, GRaCE notamment

A l’instauration d’une politique sanitaire efficace,

Aux progrès de la médecine,

A la prise en charge de la Santé Publique,

Aux vastes campagnes de vaccination et de lutte contre les maladies

Au rôle prépondérant des médecins de colonisation

la population musulmane de l’Algérie a QUADRUPLE

 

ANNEXE 2 : Sélection bibliographique

DEPONT Octave, COPPOLANI Xavier, Les confréries religieuses musulmanes. Adolphe Jourdan éditeur. Alger. 576 Pages. 1897.

HIRTZ Georges, L’Algérie nomade et ksourienne – 1830-1954. Préface de Pierre Messmer. Edition P. Tacussel – Marseille. 214 pages.  1989.

MORAND Marcel, Avant-projet de code de droit musulman algérien. Adolphe Jourdan éditeur. Alger. 543 pages. 1916.

VOISIN Georges (Ismaël URBAIN), L’Algérie pour les algériens. Michel Levy frères, éditeurs. Paris. 163 Pages. 1861.

YACONO Xavier, Histoire de l’Algérie, de la fin de la Régence turque à l’insurrection de 1954. Editions de l’Atlanthrope. 396 pages. 1993.

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