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Un mariage musulman en 1952
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Un mariage musulman en 1952

Correspondance Souvenir d‘un stage en Algérie et chronique lyonnaise - Janvier à Novembre 1952 (Août 2009).

Lettre de Guy Delorme à Minou Chamussy Nedroma, dimanche 7 septembre (1952) (n°87)

Il me reste une demi-heure avant d’aller à la messe et j’en profite pour vous écrire car je crains de n’avoir pas le temps de le faire cet après-midi, ayant un travail considérable à la SIP . Je vais d’ailleurs y descendre à 10  heures et demi, aussitôt après le saint office. Je viens de me lever (il est 9 heures et quart) et vous comprendrez plus loin la raison pour laquelle j’ai fait aujourd’hui la grasse matinée.

Ma dernière lettre était, je crois, de jeudi. Vendredi, rien à signaler : j’ai passé toute la journée plongé dans les dossiers. Aussi, après dix heures de ce travail, j’en avais assez, et le soir, après dîner, je suis descendu chez Jiordano et nous avons fait une partie d’échecs passionnante, que j’ai gagnée après beaucoup d’efforts, et deux heures et demi de réflexion.
Samedi matin, même régime. A midi, nous étions invités, Costa et moi, chez les Bouvier, qui nous ont offert un excellent déjeuner ; j’étais très en forme, les autres aussi, et nous nous sommes beaucoup amusés. Vers 3 heures et demie, je suis redescendu à la SIP pour voir quelques dossiers.
Nous nous étions donné rendez-vous à 7 heures car nous étions invités au mariage d’un employé de la commune qui appartient à une « grande » famille de Nedroma. Comme je le connais bien, et qu’il est très gentil, je tenais à y assister. Je vous assure que je ne l’ai pas regretté, car j’ai passé une soirée inoubliable : en voici le compte-rendu, que je voudrais aussi exact que possible.
Ce qui caractérise un mariage musulman, c’est qu’il se déroule en deux séries presque totalement indépendante l’une de l’autre.
Prenons d’abord la série masculine.
Une huitaine de jours avant le mariage le fiancé s’enferme chez lui et n’en sort plus. Il fait une sorte de retraite. Ses amis viennent le voir, lui apportent des aliments et lui tiennent compagnie. Il a, à ce moment-là, de grands pouvoirs : autrefois, on le couronnait Sultan. Maintenant, cette tradition s’est perdue. Mais il peut cependant donner n’importe quel ordre, il est exécuté.

Lorsque le jour du mariage est arrivé, le mariage est arrivé, le marié revêt ses plus beaux habits (blancs uniquement) et il porte une djellaba blanche, superbe, qui a été tissée spécialement pour cette occasion.
A ce moment-là le père du marié quitte la maison et voici pourquoi. Je vous ai expliqué qu’un fils ne peut rien faire devant son père : quand l’Agha Nedjari est présent, son fils, le caïd, ne boit pas, ne mange pas, ne fume pas, ne parle pas ne s’assied pas, etc. Vous comprenez que la présence du père, le jour du mariage, serait gênante pour le fils. Le père s’éclipse donc discrètement. (…)
Tous les amis se rendent à la maison du marié et l’emmènent, vers 6 heures du soir, soit aucimetière, soit dans un marabout (tombeau de saint). C’est le lieu de rassemblement de l’extraordinaire procession qui va suivre. Par ce geste, le marié se place sous la protection de ses ancêtres, ou du saint en question. Hier soir, la réunion avait lieu au marabout Sidi Bouali au sud de Nedroma. J’y suis allé, piloté par un ami, dans un dédale de ruelles invraisemblables, où grouillait une foule énorme de femmes, d’hommes et d’enfants : vraiment c’était envoûtant.
Autour du marabout, beaucoup de monde était réuni. Je suis entré pour féliciter Boumédiène. Imaginez la cour intérieure d’un marabout : la lune se reflétait sur les murs blancs et sur la djellaba du marié, dont le capuchon relevé lui donnait l’air d’un fantôme. Il était extrêmement touché que je sois venu, puisque je représentais l’administrateur, et aussi parce que c’est un ami. Pour eux, c’est un très grand honneur de pouvoir dire que l’hakem, c’est-à-dire l’administrateur, est venu à leur mariage. Pour moi, cela n’avait rien d’une corvée, au contraire.
Vers 7 heures et demie, lorsque le muezzin a chanté la prière, le cortège qui ramène le marié chez lui se mets en route. Ce défilé est une chose des plus pittoresques que l’on puisse imaginer.
Le marié monte sur un grand cheval blanc. Il est précédé par les musiciens qui jouent de la musique arabe classique ou andalouse (ce que nous avons entendu à Grenade chez les Gitans) et suivi par une foule d’amis qui font brûler des feux de Bengale : des fusées, des pétards, des soleils, partent de tous les côtés. Beaucoup portent des lanternes vénitiennes, des lampions. Devant, cinq ou six gosses dansent au son des tambourins ; Le cortège se termine par de nombreux amis, chantant en cœur  et poussant des cris de joie.
Cette espèce de feu d’artifice ambulant parcourt toute la ville. Dans les rues obscures, cela projette d’étranges clartés. Plusieurs hommes font une petite fantasia, tirant de multiples coups de fusil. Cela dure une bonne demi-heure. Enfin on arrive à la maison du marié, qui est décorée d’orangers et de fleurs multiples. Hier soir, j’ai vu cinq cortèges, tels que celui que je viens de vous décrire : c’était réellement extraordinaire.

Mais laissons un instant la série masculine et voyons ce qui se passe du côté des femmes. Tout ce que je sais, je l’ai appris de Costa et de Bouvier dont les femmes ont été invitées. Pour nous, nous ne pouvons pas les voir.
Dans l’après-midi du jour du mariage, un cortège de femmes toutes voilées, va chercher la jeune fille chez elle et la ramène chez l’époux. Puis elles lui tiennent compagnie jusqu’au soir. Pendant la soirée musicale, à 22 heures, les femmes sont sur les balcons qui dominent la cour où les invités sont réunis. C’est là que nous avons été reçus, lorsque nous sommes arrivés chez Costa et Bouvier. Je vous assure que nous n’avons pas regretté d’être venus car nous avons passé, jusqu’à 1 heure et demie du matin, une soirée merveilleuse.

Le frère du marié, qui joue le rôle de maître de maison, puisque je vous l’ai expliqué, le père se retire ce jour-là, nous attendait à la porte. Aussitôt il nous a introduit dans la cour intérieure et nous a installés en face de l’orchestre. Celui-ci, composé de cinq musiciens, jouait de la musique andalouse et, de temps en temps, un des invités se levait pour danser. Il faisait une nuit superbe et la lune brillait, illuminant cette réunion. Les femmes qui se tenaient sur les balcons, se détachaient en blanc sur le ciel foncé. Bref, c’était très oriental, et il faut bien l’avouer, très envoûtant.
Les invités étaient nombreux, tous assis sur des coussins et buvant du thé à la menthe. A notre table, se trouvaient le secrétaire interprète de la commune et le cadi. On nous a d’abord offert une bouteille de très bon champagne (…) puis du thé, jus de fruit, gâteaux, etc… Il y avait beaucoup d’ambiance. (…).
Détails amusant : les assistants donnent une certaine somme d’argent pour l’orchestre et cela se passe de la façon suivante : un type se tient debout, au milieu de la cour ; sur un signe, il s’approche et vous lui glisserez dans la main votre offrande. Aussitôt, l'orchestre se met en sourdine, et, à pleine voix, il annonce que « Sidi Mohamed, fils d’Hamed, fils de Rachida, fils de Slimane, etc…, etc… a donné 100 ou 200 francs ». L’attitude des invités est amusante à ce moment-là : tous font semblant de ne pas écouter et même ils vous parlent d’autre chose, alors qu’en réalité, ils enregistrent toutes les sommes données lors d’un autre mariage ;
Bouvier m’avait expliqué que la longueur du laïus était fonction de la somme donnée. Aussi pour vérifier cela, nous avions décidé que Costa donnerait 100 francs, Bouvier 200 et moi 500. Mais comme après quelques offrandes minimes, deux ou trois invités ont donné chacun 500 francs, nous ne pouvions pas procéder ainsi, et nous avons donné chacun 500 francs. Pendant les trois speechs, je me mordais les lèvres pour ne pas rire et Bouvier me lançait des clins d’œil désopilants. J’aurais aimé lorsque vous entendiez l’annonceur crier que « Sidi Hakem » (c’est-à-dire Monsieur l’administrateur) a donné 500 francs, que la bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa descendance, etc…
Intérieurement je me tordais de rire. Extérieurement je m’efforçais d’être très digne. Bouvier, qui était très gai, m’expliquait que je représentais la France et, naturellement, je ne protestais pas du tout ; Sur le coup d’une heure passée, après un nombre incalculable de verres de thé et de cigarettes, après beaucoup de bonnes histoires racontées par le cadi, nous sommes rentrés, mais la fête se poursuivait toute la nuit. Nous n’avions vu ni le marié ni la mariée, ni aucune femme. C’e n’est que pour ces deux tourtereaux que les deux séries dont je vous parlais plus haut s’étaient enfin rencontrées.
Les cérémonies se sont terminées ce matin. Entouré de ses amis, le nouveau marié est allé au bain maure puis à la grande mosquée. En sortant une nouvelle procession s’organise avec orchestre, danseurs et pétards. Deux des meilleurs amis entourent le mari et agitent les chasses - mouches. Ils traversent ainsi toute la ville.
Vous voyez qu’un mariage est ici une cérémonie assez curieuse. D’après ma description, vous avez dû penser que c’était un peu carnavalesque. En fait, le défilé du soir ne manque pas de grandeur, et le futur époux sur son cheval blanc  a beaucoup d’allure. J’avais très envie de vous faire venir ici : le cadi nous aurait mariés ainsi !

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Ce site a été réalisé avec le soutien du Ministère des Armées

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