L'enjeu du cycle "Novembre 1954/2024" : où en sommes nous ?
Janvier 2025
La « Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie » a été créée par l’article 3 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Cette loi intégrait la mémoire des Harkis et élargissait la perspective au Maroc et à la Tunisie : non pas dans le but de relativiser l’Algérie, mais de présenter une palette plus complète du vécu de la colonisation française en Afrique du Nord.
Dès son démarrage en octobre 2010, la Fondation s’est inspirée de trois considérations : la mémoire n’a pas de tabous ; elle doit tout embrasser ; les événements liés à la décolonisation du Maghreb doivent être intégrés dans une longue séquence dont les paroxysmes 1945-1954-1956-1962 ne sont qu’une étape. Enfin la mémoire n’est pas une arme ou une rente. Elle est le matériau d’une histoire qui ne regarde pas seulement vers le passé, mais qui s’efforce de réserver un avenir positif à notre relation avec l’Afrique du Nord.
Car au fond, tel est l’enjeu auquel nous renvoie le cycle qui court de novembre 1954 à 2024 : le maintien et la rénovation d’une relation structurelle entre la France et une région à laquelle nous lient l’histoire et la géographie. Cette relation est ponctuée d’avancées et de crises, qui sont autant de témoignages de vitalité que de complexité. Le Président Chirac, qui a initié la loi de 2005, puis le Président Sarkozy, qui en a finalisé la mise en œuvre, étaient convaincus de la nécessité d’une relation au long cours avec les pays du Maghreb passant dans un premier temps par l’apaisement des mémoires. La Fondation a été configurée dans ce but. Et si elle a travaillé en priorité sur l’Algérie, ce qui est logique, elle n’en a pas pour autant négligé les autres aspects d’un récit d’une richesse exceptionnelle, avec le Maroc en particulier. Depuis 2011, un colloque annuel, de nombreuses publications et conférences, des soutiens pédagogiques diversifiés ont étayé une démarche mémorielle différente de celle des associations. Une fondation reconnue d’utilité publique se doit de travailler dans la durée sur la mémoire de tout et la mémoire de tous.
70 ans après le déclenchement de ce que l’on ne nommait pas encore « la guerre d’Algérie », l’état des lieux appelle une évaluation mesurée qui semble conforme à la nature même des sujets traités, ou plutôt des conceptions qui les régissent. Au Maroc et en Tunisie, les Pères Fondateurs Mohammed V et Habib Bourguiba ont, dès l’indépendance, choisi une politique de dépassement. Ils ont transformé la mémoire en instrument de travail. Mémoire en partage sans communauté de destin n’impliquant ni complaisance, ni repentance, ni dépendance. Bien au contraire.
Nous avons avec Alger un différend plus profond, qui ne tient pas seulement à la longueur et à la cruauté de la guerre d’indépendance. D’un côté une mémoire préalable, quasi-totalitaire, avec effet de levier et droit de tirage ; de l’autre une mémoire linéaire, introduction à l’écriture de l’histoire dans une optique de vérité, donc d’apaisement. D’un côté un système politique, de l’autre une tradition universitaire. Le rejet par l’Algérie du rapport Stora est bien l’illustration de cette faille. Depuis 1962, la relation franco-algérienne bute sur cette divergence de fond et de méthode. Elle s’est même durcie au fil des années. L’instrument mémoire est sorti du champ strict de la guerre d’Algérie pour englober la totalité du temps historique, en symbiose avec d’autres fractures planétaires. La classification de la colonisation française en « crime contre l’humanité » a permis d’étirer jusqu’au génocide la rhétorique officielle algérienne. Le seul point d’équilibre de cette divergence est la légitimité des mémoires qui portent un témoignage incontournable, tant pour l’Algérie que pour la France. Le langage employé pour les évoquer requiert donc retenue et respect.
70 ans après le déclenchement de la Toussaint Rouge, on en est encore à s’interroger sur la notion de réciprocité dans les échanges mémoriels, voire de façon plus générale dans l’ensemble de la relation franco-algérienne. Ce questionnement est symptomatique. Il traduit un état de glaciation permanente, au mieux d’hibernation passagère. Le champ mémoriel devrait échapper à ce blocage et vivre sur sa propre logique, qui est celle de l’échange et de la diffusion dans leurs cadres juridiques. Un peu moins de symboles, de gestes spectaculaires à sens unique, et plus d’échanges universitaires et associatifs. La mémoire ne s’étalonne pas à la réciprocité d’échanges pesés au trébuchet, elle se juge à la liberté des rapports humains, au libre accès aux sources et aux témoignages.
La Fondation est un forum, un facilitateur, pas un prescripteur gouvernemental. Elle a toujours plaidé pour un découplage entre les affaires de mémoire et la conduite des relations diplomatiques, qui ne sont pas de même nature et n’ont pas les mêmes conséquences. Autrement dit, le travail mémoriel doit se poursuivre, même et surtout quand tout va mal. Je constate que la Longue Marche du Président de la République vers l’Algérie ne s’est pas interrompue sur le Burnous d’Abdel Kader, mais sur la marocanité du Sahara Occidental ! Ce qui confirme a contrario que les sujets de la puissance et des rivalités entre Etats sont d’une autre profondeur que les échanges d’archives. Dans le registre étatique, il est de coutume de se conformer à une réciprocité stricte, préalable essentiel à l’équilibre des intérêts.
Quant à l’histoire, la Fondation se contentera de jouer son rôle de transmission de mémoires différentes, en veillant à la reconstitution du contexte et à l’expression de la pluralité. Pas de récit unique, pas d’anachronisme. L’important est de retracer le temps long dans lequel s’inscrivent les générations.
Frédéric GRASSET, président de la FM-GACMT
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