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1830-1914 : Armée d’Afrique et troupes coloniales, deux entités au service de l’empire
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1830-1914 : Armée d’Afrique et troupes coloniales, deux entités au service de l’empire

Jusqu’en 1830, l’armée française est composée de deux ensembles, les troupes métropolitaines – qui combattent à terre et qui forment ce que l’on appellera plus tard « l’armée de terre » – et la Marine qui dispose de fantassins pour le service de la mousqueterie à bord de ses navires, ainsi que d’artilleurs chargés du service des canons du bord. Les derniers éléments des troupes de la marine sont débarqués des navires et des ports et disparaissent en combattant à terre, lors des campagnes d’Allemagne et de France à la fin de l’Empire. La restitution des colonies à la France en 1815 et le renouveau de la marine provoquent en 1831 la recréation de l’infanterie et de l’artillerie de la marine. Ces dates coïncident précisément avec l’émergence d’une troisième composante de l’armée française, l’armée d’Afrique mise sur pied en Afrique du Nord.

Dès lors la coexistence de ces trois entités, armée métropolitaine, armée d’Afrique et troupes de la Marine devenues troupes coloniales en 1900, complique quelque peu la donne ; d’autant qu’elles partagent des engagements sur les mêmes théâtres d’opérations et progressivement des stationnements dans les mêmes garnisons. La confusion entre Armée d’Afrique et troupes coloniales est assez courante, alors qu’il s’agit de deux entités bien distinctes, dont les recrutements, les lieux de stationnement et les traditions militaires sont différents. Cette brève étude explique la genèse de l’Armée d’Afrique, sa composition et son rôle de 1830 à 1914, et replace cette histoire particulière dans son rapport avec celles des troupes métropolitaines et de la marine.

Dans les pays musulmans où elle a exercé sa souveraineté, la France engage dans ses armées, comme soldats de métiers, conscrits ou supplétifs, des ressortissants des populations autochtones. Le véritable précurseur de l'engagement des musulmans est le général Bonaparte, qui au cours de la campagne d'Égypte en 1798-1799 utilise des déserteurs turcs et une centaine de cavaliers palestiniens. Il constitue également un régiment de Dromadaires qui s'illustre sous le commandement de Desaix et Cavalier, et il ramène en France, avec femmes et enfants, des chasseurs d'Orient et des mameluks de la Garde, qui participent à toutes les campagnes de l'Empire. La conquête de l'Algérie et la colonisation de l'Afrique ouvrent la voie au recrutement de contingents musulmans moins symboliques que ceux de ces précurseurs.

L’armée d’Afrique

Constitution  des différentes unités

« Les 37 000 hommes qui participent au débarquement à Siddi-Ferruch, commencé le 14 juin 1830, forment, selon le mode habituel de désignation d’un corps expéditionnaire par le nom du pays où il est appelé à combattre, l’armée d’Afrique. […] L’expression est conservée pour désigner les troupes recrutées et stationnées en Afrique du Nord. […] Commodité de langage sans aucun caractère officiel, elle est employée jusqu’à la fin de la présence française en Algérie [1]. »

L’armée d’Afrique est née du besoin de trouver des troupes adaptées au pays : le climat de l’Algérie, son relief, la manière de combattre des indigènes imposaient d’avoir recours aux autochtones. Les premières troupes levées ont très vite été renforcées et organisées pour combler le vide laissé par le rappel du corps expéditionnaire en France et les pertes sanitaires [2], et assurer les effectifs nécessaires à la conquête.

L’armée d’Afrique est composée de troupes indigènes et de troupes européennes. Très rapidement se développent sur le sol d’Afrique des unités composées d’engagés français de métropole et d’Afrique du nord, de musulmans, de juifs, d’étrangers, encadrés par des officiers et sous-officiers en majorité métropolitains, mais qui font en Algérie des séjours prolongés. C’est un lieu de respect mutuel, de tolérance entre les différentes communautés où les différences s’estompent, disparaissent dans le combat pour faire place à la solidarité, à l’esprit d’équipe. Une nouvelle armée naît, à base d’unités qui très vite prennent des habitudes qui les différencient du reste de l’armée française dont elles font cependant partie intégrante.

Zouaves, infanterie légère d’Afrique, chasseurs d’Afrique et Légion étrangère sont des unités composées d’Européens. Tirailleurs, spahis, goumiers sont des corps formés d’indigènes.

Le corps des zouaves est formé le 1er octobre 1830 par arrêté du général Clauzel, approuvé par ordonnance royale du 21 mars 1831. Des Kabyles de la tribu des Zouaouas sont les premiers à servir dans ces unités nouvellement créées avant qu’elles ne soient rapidement francisées. Lamoricière, figure légendaire des zouaves, se fait remarquer à la prise de Constantine en 1837. C’est lui qui fait adopter l’uniforme traditionnel du corps. En 1842 est créé un bataillon dans chacune des trois provinces d’Alger, Oran et Constantine. Ils donnent naissance à trois régiments en 1852.

Créés en 1832, les deux bataillons d’infanterie légère d’Afrique sont des corps d’épreuve où sont affectés ceux qui ont commis des fautes avant leur incorporation et qui ont un casier judiciaire. Ce sont des unités combattantes. Ils sont connus sous le nom de « bat d’Af », de « Joyeux », ou de « Zéphyrs ».

Le besoin d’une cavalerie légère destinée à reconnaître et à poursuivre l’adversaire se fait sentir dès les débuts de la conquête de l’Algérie. Des zouaves montés forment la première unité de cavaliers de l’Armée d’Afrique. Trois régiments sont créés dès 1830-1832 et un quatrième mis sur pied en 1839, qui se développent comme chasseurs d’Afrique.

Formée en 1831, la Légion étrangère regroupe au départ les hommes chassés de leur pays par l’échec des révolutions de 1830. Dès sa formation, elle prend une part active à la conquête de l’Algérie et prend de plus en plus d’importance, tant réelle que fantasmée, lorsque le mythe rejoint la réalité autour de Sidi bel-Abbés, garnison principale à partir de 1843.

Tirailleurs et spahis font partie de la première vague de troupes autochtones indigènes mises sur pied. Les compagnies turques à la solde du dey d’Alger passent au service de la France au fur et à mesure de la soumission des garnisons conquises. Elles forment une part importante des premières unités de tirailleurs. De là est né le surnom de turcos que ces unités ont longtemps porté. Trois bataillons sont d'abord mis sur pied à Alger, Oran et Constantine, par ordonnance royale du 7 décembre 1841. Le 1er janvier 1856, les trois bataillons deviennent trois régiments. Plus tard, des unités de tirailleurs seront créées en Tunisie puis au Maroc.

Formés à partir des troupes montées turques, comme les tirailleurs, des escadrons du corps des zouaves à cheval se rangent sous le commandement de Yusuf, qui fera dès 1830 une longue carrière militaire. Le 10 septembre 1834, est créé un corps de cavalerie sous le nom de spahis réguliers d’Alger. En 1835 puis en 1836, des escadrons de spahis sont formés à Bône et Oran. Après bien des vicissitudes, l’ordonnance du 7 décembre 1841 entérine l’existence des spahis réguliers, porte leur effectif à vingt escadrons et donne un statut à leurs cadres et cavaliers.

Lors de la conquête du sud saharien qui démarre à la fin du XIXe siècle, des troupes spéciales sahariennes sont créées en 1894 composées des spahis sahariens montés et de tirailleurs sahariens. En 1902, s’adaptant aux savoir-faire nécessaires, Laperrine fait adopter leur remplacement par des nomades recrutés sur place et encadrés par des officiers des affaires indigènes.

Les goumiers (de goum qui signifie patrouille en arabe) sont organisés au moment où la France intervient au Maroc pour y rétablir l’autorité du sultan. Des auxiliaires venus d’Algérie, commandés par des officiers des affaires indigènes, servent de modèle à la formation des six premiers goums marocains en 1908, constitué chacun d’une compagnie d’infanterie et d’un peloton de cavalerie.

Militarisme et orientalisme

Au-delà de nécessités militaires, on ne pas comprendre la mise sur pied de ces unités en Afrique du Nord et la création de leurs uniformes, sans prendre en compte l'intérêt pour ce que l'on appelle dans la deuxième moitié du XIXe l'Orientalisme. Tourné vers ce qu'on nomme aujourd'hui le Moyen-Orient, il s’oriente ensuite vers l'Afrique du Nord. Certes il y a eu d’abord l'intérêt pour l'Égypte, mais, à parti de 1830, l'Orient n'est plus à l'Est de la Méditerranée mais bien au Sud, à guère plus de 24 heures de bateau de Sète ou de Marseille. Victor Hugo publie en 1828 Les Orientales. On pourrait évoquer Alphonse Daudet et les chasses de Tartarin en Algérie, mais aussi Lamartine, Gérard de Nerval (qui  voyage en Algérie en 1851), Baudelaire ou encore Maupassant qui fait plusieurs voyages en Algérie dans les années 1880.

Dans le contexte culturel de la création de l’armée en Afrique – une autre communication l’évoque – l’orientalisme s’étend aussi à la peinture, avec les harems qui font fantasmer les Européens, les scènes de chasse ou de fantasia, les paysages de désert et d'oasis : Ingres, Delacroix, Horace Vernet, Jean-Léon Gérome, Eugène Fromentin, Chassériau. La France vit dans ce bain culturel qu'il ne faut pas négliger pour comprendre l'attrait pour le Maghreb mais aussi pour les troupes indigènes et leurs tenues « à l'orientale ».

Les campagnes de la seconde moitié du XIXe siècle

L’empereur Napoléon III engage les troupes de l’armée d’Afrique pour la première fois hors du pays d'origine au cours de la guerre de Crimée. Au sein des quatre divisions françaises, prennent part à cette campagne trois régiments de zouaves, un régiment de marche de tirailleurs formé pour la circonstance, et deux régiments de chasseurs d’Afrique, soit le tiers des forces engagées.

Après la Crimée, l’Italie. Quatre régiments de zouaves, le régiment de tirailleurs, deux régiments étrangers et trois régiments de chasseurs d’Afrique participent aux opérations de la plus courte des campagnes du Second Empire. Le 15 août 1859, l’armée d’Italie défile à Paris. Les zouaves sont particulièrement remarqués. La réputation des zouaves est à son zénith. De nombreux pays se dotent de zouaves : les États-Unis d’Amérique aussi bien que les États pontificaux.

En 1860, deux escadrons de chasseurs d’Afrique et un escadron de spahis sont envoyés au Levant protéger les chrétiens maronites contre les Druzes.

Trois régiments de zouaves, un de tirailleurs algériens et six escadrons de chasseurs d’Afrique font partie du corps expéditionnaire envoyé au Mexique en 1861. Les deux épisodes les plus fameux mais aussi les plus mythiques de la campagne, sont à mettre au crédit de l’armée d’Afrique, avec, le 30 avril 1863, Camerone, pour la Légion étrangère et, le 5 mai 1863, San Pablo del Monte pour le 1er régiment de chasseurs d’Afrique

Lors de la guerre de 1870, l’armée d’Afrique est engagée en métropole dès la mobilisation : tirailleurs, zouaves, chasseurs d’Afrique au mois de juillet, légionnaires et spahis en septembre, pour la première fois combattent en métropole. Au cours de la campagne, zouaves et tirailleurs ont perdu le quart de leur effectif, pourcentage de pertes considérable.

Rentrée en Algérie en 1871, l’armée d’Afrique est en alerte permanente. En 1872, elle est réorganisée à 4 régiments de zouaves, 3 régiments de tirailleurs algériens, 4 régiments de chasseurs d’Afrique et 3 régiments de spahis. Aux débuts des années 1880, la pacification de l’Algérie est en voie d’achèvement. À partir de 1881, l’extension se poursuit vers le Sahara, Laghouat et Touggourt. Une mission part d’Algérie aux ordres de l’explorateur Foureau et du commandant Lamy du 1er RTA en 1898-1900 en direction d’Ouargla. La Légion étrangère crée les compagnies montées pour les expéditions vers le Sud.

En 1881, la campagne de Tunisie est la première expédition coloniale de la IIIe République. Venues d’Algérie, les troupes n’ont pas de mal à s’imposer. Le traité du Bardo signé le 18 mai 1881, établit le protectorat de la France sur la Tunisie. Le premier régiment est levé le 14 décembre 1884 en Tunisie sous le nom de 4e régiment de tirailleurs algériens[3].

L’armée d’Afrique prend part à la conquête coloniale en Asie : Tonkin, Chine, Formose, Siam et Cambodge. Elle participe aussi à l’expansion vers l’Afrique noire – Gabon, Sénégal, Soudan, Dahomey – et Madagascar.

À partir de 1907, l’armée d’Afrique et en particulier les tirailleurs prennent une part importante aux événements du Maroc. Le général Lyautey, commandant la division d’Oran, est chargé de conduire la première expédition et l’occupation d’Oudjda. C’est le début de la carrière marocaine de Lyautey. L’armée d’Afrique fournit le plus gros des troupes. Le traité de Fès du 30 mars 1912 instaure le protectorat français sur le Maroc. C’est également à Fès que sont créées en 1912 les « troupes auxiliaires marocaines » à partir des éléments restés fidèles à la France lors de la révolte des tabors. Cinq bataillons sont ainsi formés avant l’été 1914. Les spahis marocains voient le jour à la même époque[4].

Armée d’Afrique et troupes coloniales : l’armée en Afrique

Des troupes de la marine aux troupes coloniales

Depuis les années 1620-1630, des formations relevant de la marine ont été levées pour assurer la sécurité des territoires lointains. Au cours du XIXe siècle, le développement des possessions outre-mer qui provoque la naissance de l’armée d’Afrique en Afrique du Nord, se traduit également par un accroissement des effectifs des troupes de la marine, passant de 2 à 16 régiments d’infanterie renforcés de 2 régiments d’artillerie et de 11 régiments de tirailleurs indigènes. Mais les relations entre la marine et les troupes de la marine se détériorent au long du siècle. En effet, alors que leur effectif s’accroit considérablement, les troupes de la marine abandonnent le service des armes et la manœuvre des agrès aux matelots et servent de plus en plus souvent débarquées des bâtiments pour combattre sur des territoires qu’elles conquièrent, pacifient et tentent de contrôler. Cette situation pousse la marine à trouver des troupes de substitution pour remplacer fantassins et artilleurs de la marine qui ne sont plus que transportés à bord des bâtiments.

À cet effet, au milieu du siècle, la marine crée des formations de fusiliers marins (décret du 5 juin 1856) et de canonniers marins. Comme les troupes métropolitaines, comme l’Armée d’Afrique et comme les troupes de la marine, fusiliers et canonniers marins participent au conflit européen en 1870-1871 et aux campagnes coloniales de la fin du XIXe siècle.

Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle précisément, la tutelle de « l'armée de Mer » est difficilement admise par les troupes de la marine devenues « terrestres » aux colonies. Cet état de fait conduit au « divorce ». En juillet 1900, les troupes de marine quittent donc la marine, prennent le nom de troupes coloniales et relèvent dès lors du ministère de la Guerre.

Imbrications et subordinations hiérarchiques

Ainsi donc, l’ensemble des composantes de l’armée française a participé aux expéditions militaires, à l’expansion coloniale et aux guerres européennes. Cette participation croisée aux engagements s’est doublée progressivement d’une implantation durable dans les différentes zones : sur les théâtres de projection bien entendu, et dans les garnisons de l’arrière. Si dès leur création les troupes de la Marine stationnent déjà dans les ports de guerre et arsenaux de la marine en métropole, certaines unités de l’armée d’Afrique stationnent également en métropole dès le Second Empire. Un régiment de zouaves est ainsi créé au sein de la Garde impériale en 1854. En 1863 un bataillon de tirailleurs rejoint le régiment de zouave de la Garde et en 1864 un escadron de spahis est affecté au régiment des guides. Quatre bataillons de zouaves stationnent dans la région parisienne en 1914. Si les troupes indigènes de l’Armée d’Afrique combattent en 1870-1871 et stationnent en métropole, ce n’est pas le cas des troupes indigènes des troupes de la marine. En revanche, elles ont plusieurs fois l’occasion de défiler en France, à l’occasion des expositions internationales ou, comme en 1899, lorsque les 150 tirailleurs sénégalais de la Mission Marchand défilent à Paris pour le 14 juillet.

Inversement, sous la pression des « coloniaux » et après une intervention personnelle du ministre de la Guerre, Berteaux, la Coloniale « blanche » est autorisée en 1911 à participer aux opérations sur un théâtre de l’armée d’Afrique. Ainsi, les opérations en Algérie et au Maroc dans les années 1911-1914 voient progressivement un certain nombre d’unités des troupes coloniales, renforcées bientôt par celles de la « force noire » chère au colonel Mangin, combattre et stationner en Afrique du Nord, mettant un terme à la présence exclusive jusqu’alors de l’armée d’Afrique.

La confusion entre armée d’Afrique et troupes coloniales naît principalement de cette imbrication des troupes. On pourrait ajouter que la ressemblance entre les uniformes, pourtant distincts, entretient également la confusion car ils puisent à la même source d’inspiration dite « à l’orientale ». Ces tenues popularisent d’ailleurs l’image des troupes d’Afrique du Nord et contribue à l’engouement général et international dont est l’objet ce corps depuis sa création.

Il y a enfin les chefs de l’armée d’Afrique, dont certains accèdent à la célébrité, voire à la gloire, à la tête de détachements mixtes ou sur des théâtres habituellement dévolus aux troupes de la marine ou coloniales. Ainsi, Faidherbe, le sapeur ayant servi en Algérie de 1842 à 1847 et de 1849 à 1852 est considéré comme « le père » du Sénégal ; le capitaine de chasseurs à pied Gouraud capture Samory le 29 septembre 1898 au Soudan ; le capitaine Baratier, cavalier, seconde le capitaine d’infanterie de marine Marchand lors de la mission « de l’Atlantique à la Mer Rouge » de 1896 à 1899 ; le commandant Lamy, du 1er régiment de tirailleurs algériens, commande les troupes et meurt victorieux lors de la bataille de Kousseri, au Tchad, le 22 avril 1900. On pourrait tenir le même raisonnement avec les officiers des troupes coloniales, comme Mangin, qui s’illustrent en Afrique du Nord…

Pourtant, Armée d’Afrique et troupes de la Marine ou troupes coloniales relèvent de subordination et de chaînes de commandement différentes. Aux premiers temps de la conquête, les colonies sont placées sous la responsabilité du ministère de la marine. L’Algérie, cependant, de 1830 à 1870 – à l’exception d’un éphémère ministère de l’Algérie et des colonies entre 1857 et 1860 – relève de la Guerre. À partir de 1870, ce territoire considéré comme partie intégrante de la France métropolitaine passe sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, la Guerre demeurant responsable de la défense et des territoires du sud. En revanche, la Tunisie et le Maroc sont des protectorats qui dépendent du ministère des Affaires étrangères, la Guerre étant chargée de la défense et de la sécurité intérieure. Tous les autres territoires de l’empire (à l’exception donc de l’Afrique du Nord) relèvent en 1914 du ministère des colonies créé par la loi du 20 mars 1894 [5].

Indigénat, engagement et conscription

Le régime juridique appliqué aux colonies a également des conséquences sur le statut des soldats. On appelle indigénat l’ensemble de dispositions réglementaires applicables aux populations indigènes de l’Algérie et des colonies acquises depuis 1833. En Algérie il s’agit tout d’abord d’un régime d’exception appliquée par décret aux populations kabyles (1874) puis aux territoires du sud (1878) et enfin étendu à l’ensemble du territoire. Cette mesure est entérinée par une loi de 1881 parfois qualifiée de « code algérien de l’indigénat », même si les juristes n’utilisent pas cette appellation. Des régimes analogues sont imposés aux populations des colonies d’Afrique Noire, de Madagascar et de l’Indochine au fur et à mesure de leur organisation. Jusqu’en 1912 les unités indigènes de l’armée d’Afrique sont recrutées par engagements et rengagements volontaires. L’expansion coloniale exigeant de plus en plus de troupes, les régiments multiplient les bataillons : le 1er Tirailleurs en compte jusqu’à huit. La conscription est alors imposée pour fournir les effectifs. En contrepartie, quelques avantages sont accordés aux conscrits : droit de vote dans les municipalités, emplois réservés, mais ils ne sont pas encore des citoyens à part entière. Par décret du 19 décembre 1912, les Algériens ayant accompli leur service militaire sont exemptés du régime de l’indigénat [6].

Conclusion

Avec 4 régiments de zouaves, 5 bataillons d’infanterie légère d’Afrique, 6 régiments de chasseurs d’Afrique, 2 régiment de la Légion étrangère, 9 régiments de tirailleurs algériens et tunisiens, 5 bataillons de troupes marocaines, 4 régiments de spahis et 3 compagnies sahariennes, l’armée d’Afrique à la veille de la Grande Guerre constitue avec les troupes coloniales une force militaire aguerrie que va démultiplier la mobilisation des effectifs combattants en 1914. La France s’appuiera également sur la mobilisation des travailleurs coloniaux et la mobilisation économique des colonies dans le cadre de l’effort de guerre, sans oublier la mobilisation des opinions publiques.

En effet, le 14 juillet 1913 à Longchamp, pendant la revue au cours de laquelle il remet leur emblème à 38 régiments, dont 25 sont des unités coloniales ou de l'armée d'Afrique [7], le président de la République Raymond Poincaré accroche la Légion d'honneur au drapeau du 1er régiment de tirailleurs sénégalais.

Cette cérémonie n’a de précédent que celle au cours de laquelle le président Jules Grévy distribue, dans les mêmes circonstances et dans le même lieu, leurs drapeaux et leurs étendards aux régiments de l’armée nouvelle en 1880. Entre les deux événements les régiments coloniaux ont reçu leurs emblèmes ou leurs décorations dans leurs garnisons d'outre-mer. La Légion d'honneur est remise au 2e régiment de tirailleurs algériens à Mostaganem en 1902, au 1er régiment étranger à Sidi bel-Abbés en 1910.

Ceux qui, au gouvernement comme à la tête de l'armée, savent que la guerre est inévitable et proche et qu'il faut y préparer le pays, connaissent la faiblesse des effectifs que l'armée française peut aligner face à l'armée allemande. En un temps où l'on croit encore aux gros bataillons, le déficit est patent. Pour le pallier, ils font voter la loi du 7 août 1913 qui porte à trois ans la durée du service militaire. Et ils organisent cette prise d’armes exceptionnelle pour convaincre l’opinion publique que l’Empire est une réserve de troupes inépuisable, pour présenter aux Français les indigènes avec lesquels ils combattront bientôt et faire connaître aux indigènes le pays qu'ils viendront défendre prochainement.

Après avoir continué de servir aux colonies, l’armée d’Afrique participe aux deux conflits mondiaux, ainsi qu’aux guerres dites de décolonisation. L’armée d’Afrique est dissoute en 1962. Seules quelques unités sont aujourd’hui les héritières de ces troupes au sein de l’armée de terre française. Elles maintiennent les traditions et entretiennent l’appellation « armée d’Afrique » : légion étrangère, 1er régiment de tirailleurs (Épinal), 1er régiment de chasseurs d’Afrique (Canjuers), 1er régiment de spahis (Valence) et quelques autres unités du Train ou de l’artillerie, comme le 68e régiment d’artillerie d’Afrique.

Auteurs : 

Lieutenant-colonel Gilles Aubagnac, Délégué militaire départemental de l’Aube
Lieutenant-colonel Antoine Champeaux, Délégation au patrimoine de l’arme de terre

FM-GACMT 2012 (Texte extrait des actes de la Journée d'études du 10 dec 2012)

 

Bibliographie sommaire

BENOIT Christian, « La remise de la Légion d’honneur au drapeau du 1er RTS le 14 juillet 1913 », in Histoire et Défense, Les Cahiers de Montpellier n° 37, I/1998

BENOIT Christian, « Le retour de l’Armée d’Italie », in Revue de la société des amis du musée de l’armée n° 142, 2011

CLAYTON Anthony, Histoire de l’armée française en Afrique de 1830 à 1962, traduction de Paul Gaujac, Albin Michel, 1994

FREMEAUX Jacques, L’Afrique à l’ombre des épées, Vincennes, SHAT, 1993-1995

FREMEAUX Jacques, La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870. 1954-1962, Economica, 2002

HURE (général, dir.), L'Armée d'Afrique, Lavauzelle, 1977

JOLY Vincent, Guerres d’Afrique, PUR, 2009

Les Africains, Historama hors série n° 10, 1970

MICHEL Marc et CHAMPEAUX Antoine (dir.), Les grandes missions africaines, 1897-1900, Lavauzelle, 2003

PEDRONCINI Guy (dir.), Histoire militaire de la France, tome 3, PUF, 1992

Revue des troupes coloniales

Revue historique des armées

SERMAN William et BERTAUD Jean-Paul, Nouvelle histoire militaire de la France, 1789-1919, tome 1, Fayard, 1998

 

Notes

[1] Christian Benoit, « Le retour de l’Armée d’Italie », in Revue de la société des amis du musée de l’armée n° 142, 2011.

[2] 8 322 morts de maladie de 1830 à 1834 ; 9 686 par la seule année 1840.

[3] Il prend l’appellation de 4e régiment de tirailleurs tunisiens en 1921.

[4] En 1914, les troupes marocaines n’appartiennent pas encore à l’armée française mais relèvent du sultan.

[5] Un secrétaire d’État aux colonies, dont les bureaux dépendent tantôt du ministère de la Marine tantôt de celui du commerce, existe à partir de 1883. Les décrets d'application de la loi du 7 juillet 1900 créant les troupes coloniales parus peu après spécifient bien que les corps coloniaux stationnés en métropole ou en Afrique du Nord dépendent désormais du budget  de la Guerre, alors que les formations européennes ou indigènes basées outre-mer font l'objet de crédits octroyés par le ministère des colonies.

[6] Il est utile de rappeler que le régime de l’indigénat n’a jamais été appliqué à la population des « vieilles colonies » c’est-à-dire Antilles, Réunion, Guyane (sauf le territoire de l’Inini) et Quatre communes du Sénégal.

[7] 4 régiments d'artillerie coloniale, 6 régiments d'infanterie coloniale mixte du Maroc, 5 régiments de tirailleurs algériens, 3 régiments de tirailleurs sénégalais, le 1er régiment de tirailleurs annamites, le 4e régiment de tirailleurs tonkinois, 3 régiments de tirailleurs malgaches, le régiment indigène du Tchad et le régiment indigène du Gabon.

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