COLONISATION : L'Algérie et l'Idée d'un royaume arabe sous le Second Empire, de 1852-1870
« Je le répète, l'Algérie n'est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe », citation de l'empereur Napoléon III en 1863.
Introduction
L’Algérie correspond à la partie centrale du Maghreb, et s’est vue succédée de nombreux peuples : les royaumes berbères unifiés sous l’appellation Numidie, au IIème siècle avant J.-C, ensuite la conquête romaine qui en fait une province (Africa Nova), puis la conquête arabe qui forme le royaume de Tahert au VIIème siècle après J.-C.
Ces royaumes arabes se retrouvent confrontés à la Reconquista espagnole, au XV-XVIe siècle, qui les oblige à demander de l’aide à l’Empire Ottoman. Leurs représentants se trouvent aux places principales du pays et régit l’administration de l’Algérie durant plus de trois siècles. C’est-à-dire de 1520 à 1830, et dont on appelle la période : ‘’la Régence d’Alger’’.
La France et la Régence concluent un traité de paix en 1689, qui a une durée de cent années de paix, et qui permet la création de Compagnies maritimes en Afrique reliées au port de Marseille. Cela profite aux activités commerciales, sous le règne de Louis XIV. Et même durant et après la Révolution de 1789 en France, cette paix n’est pas stoppée et est même renouvelée. Celle-ci profite aux quelques années de la République, puis du Consulat et sous les débuts de l’Empire avec Napoléon Ier.
La conquête de l’Algérie, ou plus précisément de la ville d’Alger, se déroule en 1830. Des commandements français s’en emparent et se succèdent progressivement, avec eux, des forces en présence importantes. Les premières années de l’Occupation, avec la Monarchie de Juillet se déroule plutôt sans accroc. C’est à partir de la décennie suivante, que le pays va être en phase de guerres et de révoltes sanglantes. C’est pourquoi, de 1840 à 1846, la résistance de l’Algérie, en opposition au gouvernement français, est menée par Abd el-Kader. Abd el Kader devient l’émir des populations arabes, qui voient en lui, le leader religieux des régions de l’Algérie et qui peut se rebeller contre l’autorité française. Celui-ci arrive à consacrer une partie de l’Algérie sous son égide, et il crée son propre état, son propre pouvoir. Cependant ses forces armées sont mises en déroute, et rapidement il perd ses généraux et la guerre ne prend fin que lorsqu’il décide de fuir en 1846 pour se réfugier au Maroc. Sa fuite permet à l’État français, soit aux dernières années de la Monarchie de Juillet, de consolider son emprise sur le territoire. Ainsi, l’Algérie devient un des sujets principaux de la politique en France, à partir de la Deuxième République et du Second Empire, période qui s’étend des années 1852 à 1870.
De quelles manières l’Algérie est-elle administrée sous le Second Empire et quelles sont ces différentes phases qui amène l’Empereur Napoléon III à la conception d’un royaume arabe ?
La première phase de l’Algérie : de 1852 à 1858
Une administration qualifiée de ‘’régime du sabre’’ : entre la présence de militaires et l’établissement des bureaux arabes
Tout d’abord, il faut préciser qu’à la suite de l’expédition d’Alger en 1830 et les récentes répressions sanglantes dans les années 1840, la présence des militaires est importante sur le territoire algérien. D’autant plus, que la conquête militaire et expansionniste de l’Algérie n’est toujours pas achevée dans l’ensemble du pays, la Grande Kabylie et le Sud oranais ne sont toujours pas soumis, et restent indépendants au régime français. La domination de l’Algérie par la présence de soldats est donc nécessaire pour éviter de possibles rebellions et révoltes, entre les populations autochtones et les colons français.
La solution à cette insécurité constante, n’est autre que la solution militaire. Il y a donc une continuation, depuis les origines d’Alger, d'une politique de main de fer par les maréchaux français en Algérie.
Nous pouvons citer comme grands maréchaux, généraux durant le Second Empire : Thomas Bugeaud, Émile Cavaignac, Marie-Alphonse Bedeau, François de Canrobert, Armand de Saint-Arnaud et dans les dernières années Amable Pélissier.
En outre, les responsabilités politiques et administratives sont confiées principalement aux chefs de l’armée, aux commandants et aux soldats. Le but de ce système est avant tout de prévenir les éventuels troubles, par le renseignement, la police, le maniement des influences. C’est un régime qui se traduit rapidement comme un régime despotique et est vite surnommé : « régime du sabre ». Et où, les populations musulmanes ne peuvent s’y opposer et l’acceptent à contrecoup. Il y en a quelques-uns qui se révoltent et qui s’exposent à la peine capitale, soit la mort. Cependant, les Européens se plaignent aussi rapidement de ce système qui les contraignent dans leurs transactions des terres avec les autochtones. Ils veulent davantage de liberté.
Pour donner un ordre d’idée, en Algérie, la force armée représente au minimum 60 000 hommes, que ce soit sous la Monarchie de Juillet, la République ainsi que sous le Second Empire. Des années 1830 à 1870 : ce nombre oscille entre 60 000 et 90 000 hommes.
Cette force armée ne peut assurer seule la protection et la ‘’paix’’ en Algérie. Elle a besoin d’une administration permettant le renseignement et la surveillance des populations arabes. C’est le rôle qui a été confié aux officiers ''des bureaux arabes''. Et ce dispositif existe depuis 1833. Ces derniers sont à l’origine un dispositif modeste dont les chefs, comme le colonel Daumas, sont les subordonnés des commandants supérieurs, généraux, ou même maréchal, comme Thomas Bugeaud. Les officiers sont au nombre de 200 lieutenants, capitaines et d’une quarantaine de bureaux. Chaque bureau emploi un officier de chef de bureau, un officier adjoint, un interprète, des sous-officiers secrétaires et un secrétaire arabe. C’est donc en grande partie sur eux que reposent la gestion des affaires autochtones et la connaissance des sociétés locales. Ils sont donc essentiels pour l’armée.
Par conséquence, ‘’le régime du sabre’’ et les bureaux arabes en Algérie s’opère depuis 1830 et est une administration toujours d’actualité sous le Second Empire. Celui-ci peut permettre une gestion, un contrôle, une connaissance des populations autochtones dans les différentes régions, et en particulier la surveillance de celles toujours insoumise, à la France.
Un nouveau statut, une colonie dite de ‘’peuplement’’
Cette appellation de ‘’peuplement’’ lors du Second Empire, est inspirée des réformes et des décisions prises durant le précédent régime, soit la Deuxième République.
La Deuxième République permet d’assimiler l’Algérie à la métropole, et donne aux anciens territoires civils, le statut de départements. Des conseils municipaux sont établis dans les plus grandes villes. Cela permet une ouverture pour l’Algérie qui devient ‘’territoire français’’ par le décret de novembre 1848. Ces principales initiatives de la Deuxième République permettent une colonisation de ‘’peuplement’’ dans les premières années et tout au long du Second Empire.
Ensuite, il faut statuer qu’est-ce qu'une ‘’colonie de peuplement’’ ? C'est une colonie où État décide d'y envoyer des colons pour qu'ils s'établissent significativement et de façon plus ou moins autonome.
Pour donner un ordre d’idée, entre les années 1851 et 1852, 131 000 européens sont présents sur les terres algériennes. En comparaison, à 103 000 européens en 1848. Il faut tout de même souligner qu’une partie de ces 30 000 européens de plus, environ 10 000 personnes proviennent de France et ont été déportés intentionnellement à la suite du plébiscite et du coup d’état de Napoléon III.
En outre, la démographie connaît un regain dynamique avec la reprise de l’immigration et le fait que le nombre de naissances l’emportent sur le nombre de décès. Ce qui permet de faire passer le nombre de 131 000 européens en 1851-1852 au début de l’Empire à 160 000 habitants, en 1856.
Cependant, cette politique de peuplement n’est pas que visible pour les premières années du Second Empire, il faut préciser que la population continue de croître même au-delà et jusqu’à sa fin. Pour donner l’exemple : on passe de 160 000 à 180 000, puis à 245 000 européens en 1870-1871.
Une conquête coloniale permettant une implantation concrète
Comme nous avons pu le voir précédemment, ce sont les forces armées et les bureaux arabes qui permettent la sécurité en Algérie, et qui sont nécessaires pour le contrôle des régions encore insoumises. C’est pourquoi, une conquête militaire est nécessaire pour parachever la colonisation de l’ensemble des régions de l’Algérie.
En 1852, les premières opérations se font au sud, par le général Pélissier qui s’empare et détruit avec ses troupes la ville Laghouat, pour chasser les populations sous influence du chérif Mohammed Ben Abdallah, qui dirigeait la ville depuis 1844. Cet épisode est l’un des épisodes les plus particulièrement sombres de l’histoire de la conquête, sous le Second Empire.
De plus, l’une des plus importantes expéditions, est la conquête de la Grande Kabylie, qui se situe aux portes d’Alger et qui devient stratégique de s’emparer. Des campagnes avaient déjà vu le jour dès 1853-1854 sauf que celles-ci ont été retardées et annulées pour cause du conflit européen : la Guerre de Crimée, de 1853 à 1856. À sa suite, les opérations peuvent reprendre, et une expédition se réalise au printemps 1857 avec des effectifs militaires de plus de 30 000 soldats. C’est LA concentration de troupes la plus grande jamais effectuée en Algérie. Un établissement permanent est fondé en grande pompe le 14 juin 1857 au lieu-dit Fort-Napoléon (aujourd'hui l'actuel Fort Mac-Mahon). Surplombant la région à 974 mètres, il permet une reconnaissance de la région et permet ainsi aux opérations de se poursuivre dans la Grande Kabylie. Une résistance a lieu par les guerriers de la tribu des Aït Menguellet du 24 juin 1857 au 11 juillet 1857, lors de la reddition de ces derniers. C’est alors que le 14 juillet 1857, toute résistance est dissoute. Sa conquête constitue alors l'exploit militaire majeur du Second Empire.
Néanmoins, la conquête du sud Oranais s'effectue dans les années 1860 du Second Empire. Et nous l'expliquons dans la seconde partie de l'article.
La seconde phase de l’Algérie, avec l’Idée d’un royaume arabe
Une organisation voulue et prise en main par l’Empereur Napoléon III
Pour commencer, la proclamation de la loi du 3 mai 1854 règle la constitution de l’Algérie qui « sera régie par un décret de l’empereur », en sa vertu, Napoléon III est libre de réformer comme il l’entend son organisation. C’est pourquoi, l’empereur décide en juin 1858 de créer le ministère de l’Algérie et des Colonies, en plus du ministre de la Guerre, déjà présent. Le ministère d’Algérie permet la mise en place de nouvelles sous-préfectures et de conseils généraux.
Dès 1859, Napoléon III s’intéresse et s’informe sérieusement sur l’Algérie, en consultant les hauts fonctionnaires et les personnalités acquises à la cause algérienne. Il effectue ainsi le premier déplacement d’un chef d’État français dans un pays. Et dans ce cas, l’Algérie. Il opère son séjour entre le 17 et le 19 septembre 1860 à Alger et il est convaincu de la nécessité de prendre personnellement l’affaire et de s’y impliquer. C’est ainsi qu’il proclame publiquement en 1860 : « Notre premier devoir est de nous préoccuper du bonheur de trois millions d’Arabes, telle est notre mission ».
En plus de l’organisation, Napoléon III s’intéresse de près aux dépenses publiques de l’État vers l’Algérie. Depuis 1857, le total des dépenses est évalué à 94 millions de francs. L’Empereur réalise les dépenses parfois à pertes, que ce soit pour les opérations militaires ou/et civiles. Puis, il décide de finalement supprimer le ministère d’Algérie, en novembre 1860. Et de le remplacer par un gouverneur général. Et celui-ci n’est autre que le maréchal Amable Pélissier, mais en raison de son âge, l’y avoir placé, permet à Napoléon III de s’impliquer sans retenue en Algérie. Sa prise en main permet, par exemple, la réception de six chefs algériens au château de Compiègne, en France, en 1860. Soulignant une politique plus ouverte envers les populations autochtones.
Le projet impérial de Napoléon III et la concrétisation d’un royaume arabe...
Ensuite, c’est à partir du 6 février 1863 que l’empereur fait connaître officiellement les nouvelles orientations de sa politique et déclare dans une lettre adressée au maréchal Pélissier : « L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe ». Ce terme de « royaume arabe » n’est pas à nouveau, mais dans cette proclamation, cela indique une politique ‘’indigénophile’’ ou ‘’arabophile’’ de l’empereur envers les populations autochtones.
Cependant, pour avoir un « royaume arabe », il faut que l’Algérie soit parfaitement unifiée sous son pouvoir, sa politique. C’est pourquoi, en continuation à la politique militaire des premières années du Second Empire. Une expédition des soldats est organisée entre février 1864 et novembre 1865, vers le Sud oranais, en présence d’un effectif d’environ 80 000 soldats en Algérie. Celle-ci permet de faire face à l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh et de s’emparer de la dernière région insoumise d’Algérie.
En outre, l'empereur se rend de nouveau en Algérie pour un séjour d’un mois. Et plus précisément du 3 mai au 7 juin 1865, où il parcout pendant son séjour près de 3 000 kilomètres, en passant aussi bien par les grandes villes ainsi que des villes plus éloignées comme : Batna, Biskra, la Grande Kabylie avec le Fort Napoléon. Ce geste est symbolique pour ses partisans.
À son retour, Napoléon III envoie un manifeste de sa politique impériale, au maréchal Patrice de Mac Mahon, le remplaçant de Pélissier à sa mort en 1864. Le maréchal Patrice de Mac Mahon, gouverneur général, se voit par cette mesure autoriser à proclamer l’égalité à l’ensemble des Algériens (musulmans, israélites) devant la loi sans les forcer à abandonner leur religion. Cette volonté est dû à l’une de ses déclarations impériales du 6 février 1863. Soit : « Les indigènes ont, comme les colons, un droit égal à ma protection, et je suis aussi bien l’empereur des Arabes que l’empereur des Français ».
C'est ainsi, qu'à partir de 1863 naît l’idée de Napoléon III d’y établir un royaume arabe en Algérie, dont le programme impérial est une égalité plus prononcée envers tous.
...mais qui est voué rapidement à des crises et à l’échec
Enfin, nous allons voir les problèmes qui causent l'échec de cette idée de « royaume arabe ». Il y a en premier lieu, les mauvaises récoltes dû aux années de sécheresse. Une pluviométrie très insuffisante que ce soit pour l’année 1866, 1867, 1868 ainsi que 1869. Ce qui provoque la famine et des maladies (choléra, typhus), surtout à l’encontre des populations arabes, dépendant de l’agriculture et des rendements. Seule la population civile, que ce soit les français et/ou les européens en échappent. Malgré le soutien de Napoléon III et son action d’envoyer un crédit de 2 400 000 francs, cela ne règle pas la situation.
Les opposants à la politique impériale, s’empressent de dénoncer l’actuel régime, qui est selon eux, la raison de ces crises sanitaires, humanitaires et sociales. Ces derniers sont pour une politique ‘’coloniste’’. C’est-à-dire une politique à l’avantage d’une implantation européenne au détriment des populations autochtones. Soit l’acquisition de leurs terres, pour une colonisation ‘’complète’’. Ainsi une politique opposée à celle de l’empereur Napoléon davantage ‘’indigénophile’’.
Le plébiscite du 8 mai 1870 permet aux français de déclarer s’ils approuvent ou sanctionnent le régime, 83% en métropole sont en faveur du Second Empire VS 56% en Algérie qui sont contre le régime. Ce qui est une victoire pour le régime et la politique impériale de Napoléon III. Malgré tout, l’état de santé de l’empereur se détériore et l’empêche de continuer à s’impliquer dans l’organisation de l’Algérie. Laissant ainsi la situation s’envenimer dans le pays en laissant progressivement le parti coloniste prendre de l’importance. Le maréchal Patrice Mac Mahon autorise de plus en plus de décrets répondant aux vœux des colonistes : soit leur faciliter l’acquisition des propriétés et des terres des musulmans.
Une des décisions qui précipitent la chute du royaume arabe, est la déclaration de guerre de Napoléon III envers la Prusse de Bismarck. Le 2 septembre 1870, l’empereur est fait prisonnier à Sedan et abdique en faveur de son fils, le prince impérial Louis Eugène Napoléon Bonaparte et de sa femme, Eugénie de Montijo, qui assure la Régence. Cependant des complications ont lieu en plan cœur de Paris, et le 4 septembre 1870, la Troisième République est proclamée et remplace le Second Empire. Laissant la place à la politique des Républicains et donc à une politique colonistes.
Conclusion
L’Algérie au cours du Second Empire s’est vu administrée par le ‘’régime du sabre’’ et par la présence conséquente de l’armée qui a permis l’acquisition et la colonisation de l’ensemble des régions du pays. L’Empereur Napoléon III s’intéresse et progressivement prend en main l’organisation de l’Algérie, en votant de nouveaux décrets à l’avantage des populations autochtones. Une politique impériale qui vient la conception et l’établissement d’un ‘’royaume arabe’’, dès 1863. Cependant, cette idée se voit rapidement freinée par des limites, des crises et des échecs. Le royaume arabe devient alors un « royaume impossible ».
Lisa Facon, juillet 2023
Photographie des bureaux arabes du Second Empire (1852-1870).
Bibliographie
--FRÉMEAUX Jacques, Algérie 1830-1914 : la naissance et destin d’une colonie, 2019, le Rocher poche
--LAURENS Henry, Le royaume impossible : la France et la genèse du monde arabe, 2003, Armand Colin
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