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HARKIS : Combien de harkis… ?
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HARKIS : Combien de harkis… ?

Le casse-tête des chiffres

Les historiens peinent parfois à trouver des réponses aux questions qui tiraillent leurs contemporains. Il en est ainsi de la recherche lorsqu’elle bute sur la question des chiffres, dont l’énonciation, comme l’a si bien mis en évidence Charles-Robert Ageron en son temps, peut se mettre au service de toutes sortes de manipulation ou interprétation (1). L’historien rappelle d’ailleurs que l’état-major d’Alger, en pleine guerre d’Algérie avait su jouer de ces interprétations en lançant son slogan des « 180 000 Français musulmans qui se battent à nos côtés », manière de dire – comme l’avaient fait de Gaulle le 10 novembre 1959 ou Michel Debré en janvier 1960 – que « les musulmans qui acceptent volontairement de verser leur sang pour la France sont six fois et demie plus nombreux que ceux qui se battent contre elle à l’intérieur de l’Algérie » (lesquels étaient 28 000 en janvier 1960) ! 

La polémique sur les chiffres n’est donc pas nouvelle ; mais elle a changé de nature après la guerre, illustrant les revendications des ex-harkis, de leurs descendants ou de leurs partisans. Si bien que l’on trouve fort peu d’historiens prompts encore aujourd’hui à énoncer des vérités précises ou réputées l’être sur le nombre de harkis engagés, emprisonnés, tués ou rapatriés.

Combien de supplétifs engagés par l’armée française ?

Combien de supplétifs ont été engagés dans l’armée française entre 1954 et 1962 ? De 200 000 à 250 000 personnes nous disent la plupart des chercheurs. C’est notamment le cas de François-Xavier Hautreux (2) , qui établit cette estimation pour toute la durée de la guerre. En aval des avertissements liminaires propres à l’exercice, Charles-Robert Ageron (3) parvient même à établir un décompte annuel distinguant la totalité des supplétifs armés des seules troupes dénommées « harkis » :

La somme de tous les supplétifs armés d’après les archives du SHAT évolue

• 4300 (janvier 1956) (5)
• 23 922 (janvier 1957) 
• 39 500 (janvier 1958) 
• 61 000 (janvier 1959) 
• 119 000 (janvier 1960) 
• 108 500 (novembre 1960) 
• 122 000 (janvier 1961) 
• 97 100 (janvier 1962)

L’effectif des seuls « harkis » (4) évolue comme suit :

• 2186 (janvier 1957)
• 10 431 (septembre 1957) 
• 24 153 (mai 1958) 
• 28 021 (janvier 1959) 
• 60 000 (janvier 1960) 
• 47 627 (1er novembre 1961) 
• 61 600 (février 1961) 
• 41 383 (1er mars 1962) 
• 24 915 (1er avril 1962)

Fort de ces données, Ageron affirme également que les harkis ne pouvaient constituer en principe que 25 à 33 % des commandos de chasse en 1958, mais que l’on atteignait parfois, en 1959-60, la proportion de 40 %. Un décompte que valide en substance Maurice Faivre lorsqu’il avance un nombre maximum de harkis employés durant le conflit fixé à 123 000 hommes en 1961 (6)

Combien de harkis « massacrés » en Algérie ?

A propos des chiffres sur les harkis victimes de massacres en Algérie, la chercheuse Sylvie Thénault se range aux mêmes précautions que ses pairs qu’elle résume en une formule teintée de regrets : « La discipline historique a ses limites malgré ses sources et ses méthodes. Elle laisse parfois des questions, même très graves et lourdes d’enjeux, sans réponse » (7) … Ce que l’historien Guy Pervillé avait lui-même énoncé de la manière suivante : « Le nombre des victimes est inconnu mais l’horreur de leur sort ne lui est pas proportionnelle » (8).

Cette incertitude explique les écarts de un à sept énoncés dans les sources qui osent une estimation du nombre de tués après les accords d’Evian. Quand certains s’essayent à une extrapolation – hasardeuse – des données issues de la seule sous-préfecture d’Akbou qui a produit quelques chiffres (la fourchette qui en découle faisant osciller le nombre de victimes entre 72 000 et 150 000), d’autres comme Benjamin Stora dévoilent une estimation comprise entre 10 000 et 25 000 morts ou entre 55 000 et 75 000 victimes selon Maurice Faivre.

Si de tels écarts existent, ils trouvent un sens dans le tiraillement qui pousse l’historien à vouloir répondre aux questions posées par les porteurs d’une mémoire harkie militante.

Combien de harkis emprisonnés en Algérie ? 

C’est pourquoi la question des harkis emprisonnés après l’indépendance est corollaire de la précédente. Sous l’accusation de collaboration, les anciens supplétifs sont aussi l’objet d’arrestations en Algérie : regroupés dans des centres d’interrogatoires, beaucoup sont torturés et exécutés de façon sommaire. Ainsi, pour Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, « On ne saura probablement jamais le nombre de supplétifs emprisonnés dans les camps d’Algérie après l’indépendance » (9) . Ces historiens avancent tout de même des indications, reprenant en particulier les données de la CroixRouge de 1963 à 1965, qui estima le nombre de supplétifs emprisonnés dans les camps algériens à 13 500, tout en précisant que d’autres sources évoquent un nombre de prisonniers allant jusqu’à 60 000 (10) .

Combien de harkis arrivés en France ?

Le dernier casse-tête concerne enfin l’arrivée des ex-supplétifs et de leur famille en « métropole ». Les mesures manquent de fiabilité du fait d’un étalement des rapatriements jusqu’en 1967 et elles sont rendues confuses par le recensement de 1968 (80 000 anciens supplétifs et leur famille dénombrés) qui semblent intégrer des descendants d’ex-harkis nés en France. D’après Jordi et Hamoumou(11) , du 23 juin au 28 septembre 1962, 48 625 Français musulmans débarquent à Marseille (y compris ceux qui ne sont pas rapatriés dans le cadre officiel) ou atterrissent à Marignane ; mais tous ne sont pas harkis et ce décompte n’intègre pas les arrivées suivantes. Là aussi, l’approximation reste donc de mise, même si Sylvie Thénault s’essaie ici à une évaluation fixée à 60 000 anciens supplétifs et leur famille réfugiés en France après les événements (12) . On est donc bien loin d’être en mesure encore aujourd’hui d’énoncer des certitudes comptables sur le sort des harkis pendant ou après la guerre d’Algérie. Ainsi, de l’aveu même des historiens, pour toutes réponses, il vaudra mieux le plus souvent allier le réalisme à la modestie.

Mickaël GAMRASNI

2014

Notes : 

1 - Ch-R. Ageron, « Les supplétifs algériens dans l’armée française durant la guerre d’Algérie », in R. Branche, La guerre d’indépendance des Algériens, 1954-1962, Tempus, 2009, p. 201-203. 

2 - Voir en particulier François-Xavier Hautreux, « Les supplétifs pendant la guerre d’Algérie », in F. Besnaci-Lancou et G. Manceron, Les Harkis dans la colonisation et ses suites, 2008
3 - Ch-R. Ageron, « Les supplétifs algériens dans l’armée française durant la guerre d’Algérie », in R. Branche, La guerre d’indépendance des Algériens, 1954-1962, Tempus, 2009, p. 202 
4 - Donc, sans compter les GAD, les UT, les moghaznis, les GMPR. 
5 - Ce total comprend les GAD, UT, Moghaznis, GMPR mais pas les harkas proprement dites, car elles ne sont créés qu’un mois après.
6 - Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, Des soldats sacrifiés, L’Harmattan, 2007, p. 250. En 1961, 60 000 harkis + 30 000 groupes d’autodéfense + 20 000 moghaznis + 8000 GMS + 5000 UT
7 - Sylvie Thénault, « Massacre des harkis ou massacres de harkis ? Qu’en sait-on ? », in F. Besnaci-Lancou et G. Manceron, Les Harkis dans la colonisation et ses suites, 2008, p. 87 
8 - Guy Pervillé, « Combien de morts pendant la guerre d’Algérie », in L’Histoire, n°53, février 1983, pp. 89-92.
9 - Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les Harkis, une mémoire enfouie, 2004, p. 55 
10 - Ibid. 
11 - Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les Harkis, une mémoire enfouie, 2004 
12 - Sylvie Thénault, « Massacre des harkis ou massacres de harkis ? Qu’en sait-on ? », in F. Besnaci-Lancou et G. Manceron, Les Harkis dans la colonisation et ses suites, 2008, p. 86.

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