HARKIS : Mme Jeannette Bougrab, ancien ministre et fille de harkis
Témoignage oral lors du colloque Les harkis, des mémoires à l'histoire, novembre 2013
"Bonjour, je suis très émue de m’exprimer devant vous parce que la dernière fois que je suis venue aux Invalides, j’étais ministre et c’était pour la décoration d’Hélie Denoix de Saint-Marc. Nicolas Sarkozy lui remettait la Grand-croix, quelques mois avant son décès.
Aujourd’hui, je reviens ici pour parler de mon père, le caporal-chef Lakhdar Bougrab, parce que je suis fille de harkis, berrichonne née de parents harkis. Je suis venue témoigner pour incarner les harkis, vous parler d’un héros, mon père.
Mon père est né dans les montagnes de Blida, vers Médéa, une région assez pauvre. Il ne sait pas lire ni écrire, mais c’est l’homme le plus brillant, le plus lumineux que je connaisse. Il a aujourd’hui 81 ans. Il a permis à ses enfants, et surtout à ses filles, d’être émancipés, de pouvoir faire des études, d’être indépendants et autonomes.
Je suis docteur en droit de Paris I et maître des requêtes au Conseil d’État, j’ai été présidente de la Halde et ministre. J’ai été tout cela parce que j’avais un exemple devant moi, celui de mes parents. Le portrait que vous faites d’eux ne ressemble pas à celui que je me fais d’eux. Mon père est un héros, un combattant, jamais abattu, qui est peut-être pessimiste par intelligence mais optimiste par volonté. La France nous a abandonné, mais ce n’est pas grave, parce qu’on se relevait les manches. Et donc, ce que j’avais envie de dire au nom de mon père, c’est que quelque part, j’ai beaucoup de chance d’être fille de harkis. D’ailleurs quand je m’exprime quelque part, je me présente comme fille de harkis. À quarante ans encore, je suis fille de mon père. Et je suis très heureuse d’avoir participé à un gouvernement qui a reconnu en tout cas l’abandon par la France, et à cette occasion de connaître le général Meyer, ici présent, qui a sauvé des centaines de harkis et qui continue aujourd’hui à s’occuper d’eux. C’était très émouvant parce que c’était la première fois qu’un chef d’État visitait ces fameux camps où l’on a parqué des harkis pendant des années jusqu’au début des années 1970. Nous étions dans le camp de Rivesaltes, à côté de Perpignan. C’était émouvant parce qu’il y avait parmi les personnes présentes, d’autres familles de harkis, une en particulier : la famille Goutta. Une famille très fière et remarquable. Vous connaissez sans doute Bernard Goutta pour les fans de rugby. Les harkis sont des gens remarquables parce qu’ils aiment la France, malgré la trahison. Nous ne sommes pas de ceux qui ressassent sans arrêt cette trahison. Nous aimons l’idéal républicain, nous aimons la laïcité, nous aimons le principe d’égalité et c’est cela qui nous porte. Nous ne regardons pas derrière, nous regardons devant. Et cela, je crois, fait notre force. Quand nous étions enfants et qu’on nous disait éventuellement « sale arabe » ou « sale bicot », mon père nous montrait ses photos de l’armée et nous disait que nous n’avions pas à nous justifier d’être Français. Il m’est arrivé à l’école primaire de montrer ces photos de mon père au combat et je n’ai jamais douté un seul instant du choix fait par mon père, pas un seul. Et pourtant, j'entends encore que les harkis méritaient leur sort parce qu’ils avaient fait les sales besognes de l’armée française. Le général Meyer m’avait défendue quand Jean-Pierre Elkabbach avait déclaré cela sur Public Sénat.
On a travaillé pendant plus de deux ans sur la reconnaissance de l’abandon des harkis, parce que personne n’était d’accord sur cette affaire. Et à l’Elysée, je peux vous assurer, que quand il a remis la Grand-croix à Denoix de Saint-Marc, il a été attaqué de tous bords. Quand on avait pensé mettre les cendres du général Bigeard aux Invalides, on a été attaqué. Je me montre assez discrète parce que je ne fais jamais l’unanimité, ce qui fait sans doute ma force et ma faiblesse. J’ai fait un livre, Ma République se meurt, en dénonçant la déliquescence du modèle républicain français : j’ai eu droit à quatre mois de protection policière. Parce que j’étais attaquée par des sites fondamentalistes islamistes et l’État algérien avait demandé des excuses de ma part, parce que j’avais dit qu’on n’avait pas à recevoir Bouteflika.
Pour conclure, je veux dire que mon père n’est pas une victime, c’est un héros. Sa famille a été égorgée en 1956-57 parce que mon grand-père était garde champêtre et qu’il avait fait la Seconde Guerre mondiale. Je ne veux pas que vous ayez cette image d’un homme qui a subi, et qui a été humilié. Mon père est un héros et je n’arriverai jamais à la cheville de mon père, ni à la cheville de ma mère. Si j’ai la rage et si je me bats à ma manière, c’est pour faire honneur à eux. Et si j’ai des comptes à rendre, c’est à mon père et à personne d’autre. Ce qui explique sans doute une certaine liberté de ton, je n’appartiens ni à telle ou telle communauté. J’appartiens à ma famille. La seule chose à laquelle je suis fidèle, c’est mon père."
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