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La colonisation est-elle un crime ?
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La colonisation est-elle un crime ?

Mars 2017

Lors de l’examen par l’Assemblée Nationale de la loi du 23 février 2005 qui a prescrit la création de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie, le projet d’article 4 sur les « aspects positifs de la colonisation » a provoqué un débat dont le dénouement, la suppression de cet article dans un souci d’ouverture et d’apaisement, devrait faire réfléchir ceux qui criminalisent une longue période de notre histoire, spécifiquement 132 ans de présence française en Algérie. Apparemment ce n’est pas le cas.

Preuves évidentes que ce moment reste toujours très fort. Il pourrait même avoir la particularité d’échapper en permanence à ceux qui pensent en maîtriser la narration et les enseignements. Les blessures restent ouvertes, aggravées par les questions identitaires découlant de l’immigration et de l’islam radical.

Dans la colonisation française l’Algérie est bien un sujet majeur parce qu’il mélange à la fois des actes de conquête et des apports nombreux, profonds, pérennes. Cette ambivalence explique que la réflexion sur l’Algérie n’ait jamais cessé et qu’elle ait toujours été passionnée et contradictoire mettant en jeu des principes, des clivages irréconciliables. Un mélange propice à tous les blocages comme à toutes les cassures.

De fait chaque génération de cette saga a eu son, ou, ses Algérie avec des lignes de fractures permanentes, des combats politiques à fronts renversés aux sinuosités partisanes infinies. Finalement un personnage inclassable, mais plutôt relié à la pensée « ligne bleue des Vosges » que « contreforts de l’Atlas », le général de Gaulle, a tranché dans la douleur un nœud Gordien dont beaucoup de lacets n’ont jamais été coupés.

Ne pas recommencer l’Algérie, ne pas recommencer la guerre d’Algérie à propos d’un débat sur la colonisation qui sert de paravent à d’autres conflits, d’autres intérêts, est essentiel. Ce danger est pourtant évident.

D’abord parce que les mots récemment employés à Alger sur la colonisation indiquent moins une omission qu’une prétérition. Celle de la repentance. Mais le déplacement de la cible, de l’expiation cachée à la condamnation ouverte, ravive la blessure et l’installe dans une perspective qui pour être abstraite, commode, au fond tout le monde est à la fois innocent et coupable, n’en est pas moins infondée et dangereuse. Infondée car réductrice et univoque. Dangereuse car cette blessure définirait une histoire sacrificielle aux maux incurables et aux conséquences permanentes, jusqu’aux attentats de l’Etat islamique sur le sol français.

Ensuite parce que la démarche opposée serait tout aussi limitée. Sinon dans ses justifications, du moins dans sa portée. Il ne s’agit pas d’entonner un chant louangeur sur un passé révolu. Le nier est impossible. Le rappeler suffit à l’établir. Le déformer, le transformer en enfer criminel attise le feu des mémoires au lieu de l’apaiser. En France comme en Afrique du Nord où de nouvelles jeunesses arrivent dans l’existence avec des lendemains qui déchantent et des haines toutes faites.

Enfin parce que la France a laissé en Afrique du Nord un héritage. Cet héritage est considérable. Langue et culture françaises, anciens combattants de guerres partagées, tellement d’autres engagements, de liens économiques sans cesse renouvelés. Une condamnation en bloc perpétue la victimisation ou la stigmatisation des héritiers. Elle inflige même à tous ceux qui sont partis une double peine, l’une contemporaine, celle de l’exil après la rupture, l’autre permanente, puisqu’elle incrimine une très longue chaîne humaine.

Il reste donc à établir un bilan par phases successives d’un système dont il faut toujours rappeler le contexte des époques et des mentalités. Les grandes lignes factuelles sont déjà connues. Tout bilan comporte un actif et un passif. Seule la sortie de crise reste à inventer. Elle est d’abord du ressort de l’inventaire.

Mais ce bilan, notre pays doit l’approfondir d’abord avec lui-même puisque dans cette relation forte avec l’Afrique du Nord, intérêts et concordances sont devenus très variables, parfois en harmonie, parfois en opposition frontale. La décolonisation s’est achevée en 1962. Tous ces pays ont divergé avec l’ancien colonisateur. L’Algérie brutalement après le démantèlement quasi immédiat des Accords d’Evian. Depuis 1963 le Maghreb s’est divisé avec des querelles de puissances, de valeurs ou d’identité dont les immigrations, passerelles humaines vers la France, sont également porteuses.

De même que nous ne nous reconnaissons pas toujours dans les évolutions qui appartiennent aux pays du Maghreb, ceux-ci ne peuvent se reconnaître dans notre passé colonial. Chacun le regarde à sa manière. S’il s’avère impossible d’établir une histoire partagée sur la totalité du cycle colonial, on ne peut non plus laisser le récit français se construire sous la contrainte. Des regards croisés n’impliquent pas un droit de préemption ni dans un sens ni dans l’autre. De plus ce récit ne saurait intégrer l’idée que l’extrémisme contemporain plonge aussi ses racines dans le fait colonial. Cet extrémisme est d’abord un combat interne à l’islam, accompagné d’une réfutation violente et globale des valeurs de notre république. Cette réfutation met en péril à la fois l’héritage et l’avenir.

La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie a pour mission de recueillir et d’analyser les mémoires disponibles. Sans exclusive. Elle mesure la difficulté de l’entreprise et le paradoxe permanent d’un passé révolu qui pèse sur une histoire inachevée. Ou plutôt sur les conditions dans lesquelles s’est terminée la colonisation car c’est là que s’enroulent encore les lacets de la mémoire, c’est là que fermentent les poisons mémoriels. Une question latente : « pourquoi la France a-t-elle mené une guerre de huit ans ? » Il faut aller au fond d’un sujet dont les Français d’Afrique du Nord, ceux d’Algérie en particulier, les Harkis, ne sont que la partie la plus visible puisqu’ils en ont été les boucs émissaires. C’est bien de l’histoire de France tout entière dont il s’agit.

Le cycle des mémoires n’est pas encore fermé. Il faut bien distinguer le devoir de mémoire, antidote normal contre l’oubli, de la collecte mémorielle sur laquelle devrait s’établit le socle de la compréhension. Cette distinction, première étape de l’apaisement avant une réconciliation est au cœur du travail de la Fondation. M Hamlaoui Mekachera a inlassablement œuvré dans ce sens au moment du débat sur la loi de 2005. Il faut qu’elle produise son plein effet avant d’approfondir le cycle de l’histoire qui est la mission sans cesse renouvelée des historiens. La Méditerranée Occidentale, la France et le Maghreb, attendent un nouveau Braudel.

La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie
Le 27 mars 2017

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Ce site a été réalisé avec le soutien du Ministère des Armées

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